assassinIl faut avoir une grande foi dans l’art pour titrer The Assassin un film sans assassinat. Il faut être l’un des plus grands cinéastes vivants pour oser faire que la « dame en noir » incarnée par Shu Qi et dévolue à la fonction éponyme n’assassine personne. Passée la fugace séquence d’ouverture où elle exécute l’ordre de tuer prodigué par « la nonne » qui l’a initiée aux arts martiaux, Yinniang hante le film plus qu’elle n’y agit. Dès la deuxième séquence, elle s’apitoie devant sa nouvelle cible, un chef qu’elle sait sanguinaire mais qu’elle trouve tendrement endormi avec son fils dans les bras. L’heure quarante-cinq qui suit s’écoule dans la marge de temps étirée par le suspens indéfini d’un geste. Yinniang ne cesse de ne pas commettre le meurtre du gouverneur de Waibo qui lui a été prescrit. Elle en a la capacité technique, s’en donne dix occasions, ne le fait pas. Et finit par tout bonnement renoncer.

À cela, son initiatrice donnera une explication simple : ta technique est parfaite mais tu es encore prisonnière de tes sentiments, or « l’art de l’épée n’a pas de coeur ». Elle n’ignore pas que le gouverneur est aussi le cousin de Yinniang, jadis promis à elle avant d’en épouser une autre au nom d’alliances. Assurément, c’est un reliquat d’amour qui retient le bras de la tueuse putative. Ce que celle-ci ne nie pas, tout en justifiant politiquement sa défection : son épouse Shuli étant enceinte, la mort de « Sa Seigneurie » laissera le trône à un enfant, plongeant la province dans le chaos. Or les deux explications peuvent se renvoyer dos à dos. Si Yinniang n’embroche pas son cousin, si cet ange de la mort n’en provoque aucune, la faute en incombe au seul metteur en scène. C’est lui qui, à l’unisson de son héroïne qu’on voit plus souvent esquiver que frapper, s’emploie à contourner les brutalités oeil pour oeil qu’on suppose nombreuses dans le récit historique de Pei Xing qui a inspiré cette histoire sentimentalo-diplomatique du ixe siècle. Le plus notable de cette série de contournements consiste à donner à un combat d’épées un autre dénouement que la mort d’un des combattants. Ainsi la première confrontation nocturne entre la tueuse et son cousin, dont elle se retire avant le terme. Ainsi l’affrontement conclusif entre la même et sa mentor, conclue sans cadavre ni chair éventrée. Ainsi surtout la superbe séquence dans la forêt de bouleaux. On y voit l’héroïne ferrailler brièvement avec une épéiste au masque doré. Soudain elles se figent, se toisent. Pourquoi donc ? Le combat est-il fini ? D’un commun accord tacite, elles s’éloignent dans des sens opposés, raides comme les troncs qui hachurent le plan. Nous ne comprenons pas. Seul l’insert ultérieur sur le masque de l’assaillante, tombé au sol et fendu, éclaire ce qui s’est joué ; de même qu’il faut attendre que le colporteur panse les plaies de Yinniang pour apprendre que sonadversaire l’a blessée. Sur le moment, nous n’avons rien vu.

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