Après de longs travaux de rénovation, le Musée d’Art de Toulon fête sa réouverture avec une exposition consacrée à « Picasso et le paysage méditerranéen ». Le proposition est audacieuse car si l’oeuvre du peintre est communément associée au portrait et à la nature morte, elle l’est très peu au paysage. Pourtant si la curiosité qu’il porte au paysage est intermittente tout au long de sa trajectoire artistique, elle lui permet régulièrement de se ressourcer au contact de la tradition et de la mythologie méditerranéennes. De ses premières peintures d’apprentissage réalisées à Màlaga et Barcelone jusqu’aux toiles tardives signées à Vauvenargues et Vallauris, le paysage méditerranéen permet à Picasso d’exprimer une joie sensuelle et cosmique qui contraste avec la dureté de toiles comme Guernica.
Mais ce que l’exposition conçue par Brigitte Gaillard met surtout en lumière, c’est la spécificité de la conception picassienne du paysage. En effet, loin de passer son temps dans la nature, comme Cézanne ou son ami Braque, pour peindre sur motif, Picasso peint le paysage depuis son atelier. Comme l’a exprimé Jean-Marie Rouquette, « ce n’est pas la peinture qui va au paysage mais le paysage qui entre – ou souvent se faufile – dans la peinture en train de se faire ». Que ce soit à Horta, à Sorgues, au château de Boisgeloup, au château Grimaldi, à Antibes, à Cannes, à Vallauris ou à Vauvenargues, les ateliers du peintre sont toujours situés de manière à appréhender le paysage depuis une position en hauteur et en retrait . Ainsi le paysage n’est pas abordé frontalement et permet surtout de créer une atmosphère et une ambiance qui imprègnent l’oeuvre du peintre.
Mais l’exposition montre aussi que si le traitement picassien du paysage est très singulier, il s’inscrit toutefois dans l’invention d’un nouveau langage pictural né au contact des paysages du midi. C’est ainsi que, ici, des toiles de Derain, de Friesz, de Braque , de Dufy, de Lhote et de Kisling dialoguent avec les oeuvres de Picasso. Toutes ces peintures partagent en effet un même souci : se libérer du système scientifique du traitement de la couleur et de la théorie des rapports de ton. A la suite de Cézanne, Matisse à Collioure, Braque, Dufy et Derain à l’Estaque, Friesz à La Ciotat, Picasso à Antibes et à Cannes s’inspirent de la lumière et des couleurs du midi pour inventer un langage d’une rare inventivité et bouleverser à jamais notre façon de regarder un paysage.
Alors Picasso, un peintre du paysage ? Oui, définitivement, oui.