Comment tordre le cou au vieux mythe de la tabula rasa de l’art contemporain ? En poussant les portes de l’expo du Palais des Beaux-Arts, où le constatera que le moulage n’est pas l’apanage des thuriféraires de l’art classique, soucieux de préserver Apollons et autres éphèbes des outrages des siècles. Revendiqué par une phalange d’artistes contemporains, boosté parfois par les techniques numériques comme chez Xavier Veilhan, le moulage est bien de notre temps. Mieux même : cette technique dont l’essence est la reproduction et la conservation, traduit les plus brûlantes angoisses, celles, justement, que suscitent le temps.
Asta Gröting (née en 1961), dont la démarche rappelle un peu celle de Katinka Bock, fait de sa série Façades de Berlin, un mémorial des cicatrices et des blessures que les combats de la seconde guerre mondiale ont infligées à la ville. On retrouve là le paradoxe de la ruine, qui garde trace de ce qui, justement, devrait détruire toutes les traces : l’anéantissement. Même tropisme chez Simon Fujiwara (né en 82), mais dans une veine qui n’est pas sans rappeler celle de Daniel Arsham. Son New Pompidou – un élément d’architecture du Centre, comme sorti d’une gangue de terre – pourrait être un vestige du vaisseau-amiral de l’art moderne dans un futur plus ou moins lointain, après on ne sait quelle apocalypse…
Certains conjurent cette hantise du temps qui disloque tout, comme Marion Verboom (née en 83) avec ses colonnades aux motifs empruntés aux arts anciens. Les blocs qui les composent, comme des tronçons de fûts brisés, sont les éléments d’un jeu de construction, assemblables et réassemblables à l’infini. De la ruine comme matériau inépuisable de la création…
Michael Dean (né en 1977), pratique, lui, le moulage, avec un sens des couleurs et des formes très « art brut ». Et, surtout, il y inclut des objets d’une rare banalité, cadenas, livres, de ces objets qu’on ne regarde pas et qui sortent ainsi de leur condition éphémère pour accéder au statut d’oeuvre. Chez Jumana Manna (née en 87), le moulage aux dimensions monumentales, comme le vestige d’une gigantesque statue classique, d’un puits d’aisselle est aussi une façon de corriger les injustices du temps et de l’Histoire. On ne retient de l’Antiquité que les belles formes plastiques, les parties nobles du corps – pourquoi pas les plus triviales, aussi, suggère-t-elle ? Oui, décidément, le moulage sort du moule !
Exposition Sculptures infinies. Des collections de moulage à l’ère digitale, Palais des Beaux-Arts, jusqu’au 16 février