el presidentEl Presidente est le deuxième long métrage de Santiago Mitre, co-scénariste de Pablo Trapero (Elefante blanco). On lui doit surtout l’excellent El Estudiante, fable à suspense sur les désillusions et les compromissions de l’idéalisme révolté de la jeunesse argentine. Son nouveau film peut se lire comme la suite de son premier long métrage : l’apprentissage du pouvoir par un politicien nouvellement élu à la tête de l’Argentine. À priori, rien de neuf sur le papier. El presidente serait une exploration en profondeur du relativisme moral des politiciens tel que le cinéma nous en a donné de merveilleux exemples depuis les années 60 (Tempête sur Washington ; Que le meilleur l’emporte) jusqu’aux récentes séries télé (House of Cards en tête). Ainsi, le président Hernan Blanco, sous ses dehors de « monsieur tout le monde » (rôle qu’a toujours joué à merveille la star Ricardo Darin) n’est certainement pas l’homme immaculé qu’il se donne l’air d’être. Un sommet politique ayant lieu dans un hôtel chilien à 3000 mètres d’altitude et rassemblant l’ensemble des chefs d’Etat latino-américains aura tôt fait de nous montrer ce que le pragmatisme politique exige de compromissions. Au lieu de refaire le sempiternel même film de discussions dans le huis clos de bureaux confinés, Mitre use de différents registres à priori dissemblables pour montrer l’art délicat de la diplomatie. Il prend ainsi soin de séparer le collectif de l’intime. On songe à cette séance d’hypnose à laquelle se soumet la fille du président et lors de laquelle elle risque à tout moment de dévoiler des secrets de famille. Mitre filme de façon méticuleuse la séance, joue de fondus enchaînés, de gros plans, de musique à suspens. Les images sont de plus en plus troubles, à l’instar de la parole que l’hypnose fait jaillir. Quand la fille du président dévoile un souvenir coupable, le père affirme au psychiatre sur un ton très naturel que sa fille délire, que les évènements ont bien eu lieu mais avant sa naissance. Trouble. S’agit-il bien de la mémoire de la fille? Ou alors sommes-nous paranoïaques au point de ne pas croire le père ? Le film n’ira pas plus loin. Mitre laisse le doute planer. Jusqu’à la résolution finale de l’intrigue familiale, l’implication du président demeurera opaque au point d’envisager que sa stature d’homme d’Etat engendre autour de lui (comme chez le spectateur) la méfiance. La partie politique ne manque pas non plus de sel. Mitre nous montre de quelle façon les dirigeants du Sud sont considérés par les Etatsuniens : comme des sous-fifres, des vassaux. Impossible de savoir qui manipule qui. Il faudrait revoir la scène ad vitam eternam. C’est toute la question de la parole politique et de son ambiguïté fondamentale : insoupçonnable en surface, bien que menaçante. Une somme de mots où l’on peut comprendre tout et son contraire. Film à suspense, drame poignant et thriller fantastique, El Presidente est d’une opacité folle. Le film lorgne sur les grands manipulateurs du cinéma comme le Dr Mabuse. Une seule chose est sûre : en politique, le crime peut être parfait.