francofonia

C‘est un solide géométrique immédiatement reconnaissable. Une grande pyramide de verre posée au milieu de bâtiments aux rythmes classiques, monumentaux. Flash touristico-culturel. C’est la pyramide du Louvre, of course. Mais on est chez Sokourov, maître d’oeuvre de L’Arche russe, balade spectrale et fantaisie virtuose entre les murs de l’Ermitage, pas sur un CD-Rom promotionnel. D’abord, il y a cette façon de fondre en zoomant graduellement sur la cible de la caméra : atterrissage au ralenti, comme une déclinaison du regard sokourovien qui vient toujours d’ailleurs, de loin comme dans Élégie de la traversée, autre immersion dans les musées, d’en haut, comme dans l’ouverture de son mémorable Faust. Mais surtout il y a ce ltre, cette teinte jaune vieux papier, qui donne tout de suite à voir, dans la texture de l’image, la trace décolorée du passage du temps. Le Louvre d’aujourd’hui, avec sa pyramide symbole de l’art-design contemporain (transparence, épure), déjà pris, fané, par l’âge et les années. Devenu Histoire. Et comme tel objet à la fois d’émotion et de pensée. D’émotion : c’est l’héritage de la mélancolie romantique, du in Arcadia ego classique, comme on voudra, bref ce sentiment du caractère éphémère de toute chose, êtres ou bâtiments. De pensée : le Louvre n’est plus d’aujourd’hui, il est mis à distance, le recul nécessaire à la ré exion est creusé. Car Francofonia se situe moins, comme l’indiquerait son sous-titre (« Le Louvre sous l’Occupation ») dans l’orbite du lm historique, voire du docu dopé à l’expérimentation (on reviendra sur le travail d’hybridation de l’image), que dans un cerveau. Celui d’Alexandre Sokourov himself, dont on n’entend au début que la voix off, alors que dé le le générique sur la moitié gauche d’un écran bipartite blanc et noir. C’est sans doute la première, et non la moindre, des vertus de Francofonia : loger le spectateur, et le lm même, dans les ruminations du cinéaste. Montrer celui-ci au travail, de l’intérieur. Travail mélancolique, on l’a suggéré : « J’ai le sentiment que le lm est raté. Je suis entouré de livres et je parle tout seul. » Sokourov ne pose pas au démiurge, son lm lui échappe, comme ces images qui se décomposent et se gent sur Skype et avec lesquelles il tente de communiquer avec le capitaine d’un navire qui transporte des oeuvres d’art sur une mer démontée. Pourquoi ? Vers quelle destination ? On n’en saura rien. L’empire du réalisateur tout-puissant vacille, celui, corollaire, du récit vissé, boulonné, où tout trouve sa place, se désagrège aussi. 

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