rêves sans étoilesDans la mouvance d’un Frédérick Wiseman, Mehrdad Oskouei, remarqué il y a cinq ans avec le documentaire Les Derniers Jours de l’hiver, fonde son art sur un principe d’immersion. Autorisé au bout de sept longues années à filmer la vie de jeunes filles dans un centre de détention et de réhabilitation pour mineures de Téhéran, Mehrdad Oskouei a pu obtenir le droit de réaliser ce documentaire à la condition qu’il ne soit pas diffusé à la télévision iranienne. On espère, on parie même, que le public international, celui des festivals entre autres, viendra largement compenser cette censure de facto.

Il aura fallu à Oskouei, en amont du tournage, rassurer les jeunes détenues. Car leur rapport avec les hommes est placé sous le signe du traumatisme. Des rêves sans étoiles, avant d’être un beau documentaire sur la condition d’adolescentes marginalisées dans l’Iran d’aujourd’hui, est le produit d’un apprivoisement mutuel, entre un cinéaste humaniste et des protagonistes ayant pour beaucoup perdu confiance en l’homme.

Une poignée d’entre elles, dont une certaine Khatereh, fil rouge du film, racontent individuellement, entre deux scènes de groupe, les raisons de leur détention. L’une a dû fuir sa famille et les viols à répétition de son oncle : elle prie pour que le centre ne permette pas à ses parents de retrouver sa trace. Une autre a été arrêtée pour racket et toxicomanie. Une autre encore, dépressive, s’est immolée… Comme on pouvait s’en douter, les vies de ces jeunes filles sont tragiques et le fossé qui s’est creusé avec leurs proches n’arrange pas les choses. Et si le centre n’a rien d’un havre , il a l’avantage d’empêcher, au moins provisoirement, une chute à laquelle elles se croient destinées.

Le regard d’Oskouei se veut neutre, il cherche d’abord à capter les mots et maux de ses protagonistes, sans brosser un portrait à charge de l’institution. Mais, pour autant, sa situation n’est pas celle, toute abstraite, de l’observateur, ce pur être de raison. Témoin la place qu’il occupe dans les esprits et les coeurs de ses « sujets » après quelques mois de tournage. On songe à cette scène où une fille, en larmes, reproche à celui qu’elle appelle Daei (oncle) Mehrdad de leur avoir parlé de sa propre famille et de sa fille qui a grandi entourée de l’affection des siens. Comme si le réalisateur était coupable d’incarner tout ce dont elles étaient privées. C’est l’éternelle question de l’anthropologie, le point d’interrogation du genre documentaire : l’entrée dans le jeu des émotions, la façon dont les affects viennent se glisser dans le rapport qui unit le réalisateur à ceux qu’il filme.

Manière aussi d’interroger notre propre position de spectateur, de nous rappeler que le lien qui se tisse entre le film et nous est d’abord, lui aussi, émotionnel. Certes, le documentaire trahit une réflexion formelle, un souci de composition et de fluidité, comme les scènes en extérieur dans la cour enneigée alternant avec d’autres au réfectoire ou dans le dortoir commun. Mais c’est dans les moments où fait irruption la sentimentalité, pourtant si décriée, trop souvent confondue avec la sensiblerie, que le film prend toute sa force. On est ainsi fasciné de voir apparaître dans ce quotidien un bébé : l’enfant de l’une des détenues dont les autres s’improvisent tantes ou marraines. Sans oublier ce moment de pur mélo qu’est l’arrivée au centre d’une famille, des parents qui écoutent leur fille, comme si, enfin, ils croyaient en elle.