khibulaKhibula met en scène un roi déchu. Dans une vie précédente, Zviad Gamsakhurdia était président de Géorgie. Du début à la fin de ce film tranchant et dépouillé, il est un homme qui se cache dans les montagnes. Suite à un coup d’Etat, il traverse clandestinement le pays avec ses partisans, espérant reprendre le pouvoir. Lui et ses fidèles se réfugient dans des hébergements temporaires, puis, systématiquement, apprennent que les militaires sont à l’approche et doivent quitter les lieux.

Qui est réellement ce leader géorgien devenu pestiféré ? Quelques phrases rapportent qu’il est pour certains un tyran criminel, pour d’autres un héros. Mais le jugement moral n’est pas ce qui intéresse le réalisateur George Ovashvili. Il cherche à observer un basculement, celui qui transforme en vagabond un homme de pouvoir. Sa mise en scène illustre la thèse de l’historien Ernst Kantorowicz concernant les deux corps du monarque. Chaque chef d’Etat possède ainsi un premier corps mortel et vulnérable. Mais il en possède par sa fonction également un deuxième, qui dépasse l’humanité, a trait à la souveraineté et à l’incarnation de la collectivité.

Ici, ces deux corps sont en lutte. Le corps du président voudrait conserver dignité, prestance et sédentarité, quand le corps de l’homme est condamné au doute et au nomadisme. Le corps du président s’accroche à l’espoir d’un retour en grâce, mais celui de l’homme sait qu’au bout de la route, le choix est entre la mort ou l’exil.

Ce combat intérieur est abordé cinématographiquement sans effets superflus. La mise en scène, discrète, est totalement au service du récit, tout en se ménageant parfois quelques échappées étonnantes dans l ‘onirisme. Le personnage principal est servi par le jeu minimaliste et convaincant de Hossein Mahjoob. Ses yeux perdus portent un questionnement philosophique. Quelle place peut avoir dans le monde un homme arrivé au sommet puis descendu au plus bas ? Son Gamsakhurdia a quelque chose d’un Sysiphe.

Le sujet rappelle celui d’Essential Killing (un fugitif tente de survivre dans des paysages enneigés), mais les deux films ont des visées différentes. Là où Skolimowski visait l’urgence, Ovashvili veut saisir une errance désespérée, au sein de laquelle seule la nature permet de se ressourcer temporairement et d’apporter quelque réconfort. C’est ainsi, curieusement, que l’on pense davantage à  Last days de Gus Van Sant. Dans les deux films, il s’agit en effet de scruter une avancée à petits pas, presque mécanique, vers une fin inéluctable.

Le titre lui-même incarne la fatalité du destin. Khibula est le village où Gamsakhurdia a été retrouvé mort. C’est le lieu de destination, la fin du voyage.