Araki est un cas, un mélancolique qui s’avance masqué. Peinturlurés d’un badigeon pop/arty, ses films semblent voleter comme des bulles irisées ou tournoyer comme des boules à facettes. Mais sous le chatoiement du bonbon synthétique, il y a les zigzags tourmentés des coeurs d’ados, la mort, la perte. Une tristesse morbide, prise dans l’ambre de ces lumières léchées, automnales, qui patinent ce White Bird, adapté du roman de Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard. Araki filme en décapeur, en grattant l’opulente texture visuelle, en faisant affleurer, puis éclater toutes ces ombres que recouvrent les voiles de l’image. Le cinéma est une révélation.
White Bird est une énigme. La mère de Kat, lycéenne lambda flanquée d’un boyfriend pas spécialement futé, s’est évanouie dans la nature. Restent le père, brave type à l’allure de VRP beauf, des questions irrésolues, les cauchemars de Kat. L’affaire, au point mort, mobilise tous les avatars modernes du confesseur. L’inspecteur, parangon de virilité ; la psy, chez qui s’épanche Kat ; le duo de copains freaky et attachants, qui recueillent les confidences de la jeune fille. Et le cinéaste, bien sûr, qui adopte la souplesse chronologique chère au thriller pour faire advenir la vérité. Flash-backs sur l’enfance de Kat et sa mère, poussière d’indices, motifs obsédants (cette glacière, si elle dissimulait un cadavre ?), rebondissements, germes de doutes et zones d’ombre (et si Phil, le copain de Kat, savait quelque chose ?). L’affaire, d’abord encalminée, s’achemine finalement vers sa résolution. Laquelle, pourtant, n’a pas tant d’importance que ça. Le processus de révélation échappe au cadre étroit du polar et à la seule volonté de savoir. C’est ailleurs qu’il se joue véritablement – sur cette « autre scène » chère aux psys.
White Bird raconte moins une histoire qu’il ne met au jour des fantasmes. Pas ceux, raffinés, byzant ins, qui font sal iver l’amateur de fleurs du mal. Mais des miniscénarios érot iques taillés sur des patrons souvent usés jusqu’à la trame, comme cette scène où Kat exerce ses charmes sur le macho man en charge de la disparition de sa mère. Elle a sonné chez lui, affublée de la minijupe ad hoc. Il lui offre une bière. Ils sont assis l’un en face de l’autre. Champ. Contre-champ. La vamp-nymphette et le Don Juan, Lolita et Casanova. Autre séquence coulée dans des moules éprouvés : le flash-back avec la mère et le petit copain de Kat au bord de la piscine. Imaginaire stéréotypé, canevas élimé de porno cheap qui télescope frustrations de desperate housewives et rêveries ados sur les mères séduisantes. Quant à la mère, les tenues olé-olé qu’elle arbore dans les flash-backs, c’est la bonne ménagère qui se rêve en pute. White Bird est un déshabillage, il dévoile les petits films parfois pathétiques, souvent rebattus, qui tournent en rond dans nos libidos – tout ce qu’on n’avoue pas, à l’instar des magazines porno planqués par le père et que découvre Kat enfant. White Bird met en scène cette langue vernaculaire, cet idiome vulgaire, à tous les sens du terme, que parlent souvent nos désirs. Ce White Bird n’est pas immaculé.