Georg Elser, inconnu au bataillon. Pourtant le 8 novembre 1939, quelques semaines seulement après l’invasion de la Pologne, cet ébéniste fait sauter une bombe dans la brasserie Bürgerbräu à Munich où Hitler s’exprime devant les plus hauts dirigeants nazis. Huit individus sont tués mais Hitler, Himmler et Bormann sont épargnés. C’est l’un des quarante attentats perpétrés contre Hitler entre 1921 et 1944. Celui-ci donne le tournis tant Elser, à quelques minutes près, aurait peut-être pu changer la face du monde. De lui pourtant, on ne sait rien. Il a été l’objet de soupçons pendant et après la guerre : les nazis ont cru qu’il était un terroriste rouge. Au lendemain de la guerre, des théories conspirationnistes ont éclos : on l’a soupçonné d’être un agent du service de renseignements ennemi, un traître ou encore un nazi recruté pour prouver l’immortalité du Führer. Quel que soit le régime, on a voulu en faire un terroriste. Dans les années soixante, un téléfilm le dépeignait encore sous les traits d’un inadapté social. Personne n’a jamais voulu accepter une vérité si simple qu’elle semblait inconcevable : Elser était un individualiste patenté qui voulait n’appartenir à personne. Seul, il voulait endiguer la violence pour arrêter la guerre. Dans ce film que l’on jugera un peu hâtivement académique et illustratif, le réalisateur de La Chute s’attache avec précision à raconter sous la forme d’un thriller le parcours d’un homme férocement attaché à sa liberté et à la vérité dans une Allemagne hypnotisée par le nazisme. Torturé, battu, drogué par les nazis, Elser continue d’exprimer ses idées simples, sa clairvoyance, son horreur de Hitler. Autour de lui, personne ne peut concevoir que Hitler ne soit pas le grand sauveur de l’Allemagne. Si bien que le film, en narrant le parcours d’Elser, avance sur deux rythmes contradictoires : la reconstitution de l’ensorcellement nazi de l’Allemagne des années trente et la manière dont un homme seul marche à contre-courant, sans jamais y adhérer. Hypnose contre lucidité. Elser n’y entend rien, ne comprend pas, se méfie des foules, des discours, des masses. Le réalisateur s’attache à figurer l’indépendance farouche de son esprit. Torturé, Elser s’évade en pensées et en flash-backs dans les méandres de sa mémoire. Il est toujours cadré seul. Il est toujours à l’orée des groupes, détaché des autres. Elser ne veut appartenir à personne. Ni aux partis politiques, ni aux femmes : il en séduit une, puis passe à l’autre. Il danse avec une belle brune. Il regarde une blonde. Quand il tombe amoureux, il cherche à s’enfuir. Quand il sympathise avec des communistes, très vite, il refuse de leur être affilié. Dans un cinéma de campagne, il reste debout devant les spectateurs, quand il voit sur un écran une masse compacte se rendre à un meeting, il s’éloigne apeuré. Elser se méfie des masses. Personne n’accepte l’individualisme de cet homme. Hitler exige qu’il avoue appartenir aux communistes, à des résistants. Il se bat contre, refuse même de dire son simple nom. Dès lors, il s’agit de faire plier son esprit, de transformer la vérité par la force en un discours propagandiste. Bien plus qu’un énième film sur le nazisme, Elser se transforme en réflexion sur le fascisme en général. C’est un peu une relecture du Zéro et l’Infini, du combat du fou contre l’univers entier. Avec application, entre malaise et sensualité (belles scènes aquatiques au bord d’un lac), sans jamais surcharger son script de dialogues explicatifs interminables, Elser est mieux qu’un petit film dossier didactique. C’est une fable ténue sur un esprit libre, le combat d’une force spirituelle contre un monde ensorcelé.