La révolution est partout, dans les six chants de Maldoror et dans Poésie 1 et Poésie 2. C’est incroyable : quelques 140 ans plus tard, oui, son oeuvre est toujours une oeuvre du futur. L’humanité pleurarde, balayée : les romantiques n’ont qu’à bien se tenir. L’humanisme aveugle, bon teint, des siècles passés, balayés : Maldoror est le Faust de Goethe, le Manfred de Byron, le Conrad de Mickiewicz, bref, Satan. Un nihilisme de première envergure. Dieu n’est pas mort, il va au bordel ! Il serait même homosexuel. Voilà pour le clergé. Autre clergé à dévaster : la chapelle positiviste, puissante hier, surpuissante aujourd’hui, balayée. Écoutez-ça, de ses poésies : « Ne reniez pas l’immortalité de l’âme. » Arrêtez-vous, prenez votre temps pour lire cette phrase… quoi de plus fou aujourd’hui, plus que jamais, que d’écrire ça ? À l’heure de notre société gestionnaire aveugle à toute magie et de la séparation de la terre et du ciel total… Et ce génie d’écrivain qui se fait le chantre de la fusion cosmique. Il écrit sur un monde qui se fait sauter, un monde de chaos, infernal, insoutenable, mais merveilleux. À travers sa poésie frénétique, folle, irraisonnable quoique rationnelle, vertigineuse, un monde en mille morceaux, primitif quoique spirituel, sexuel, sanguin, une oeuvre d’une jeunesse parfaite, excessive, impensable : Lautréamont libère, nous libère, pauvres lecteurs misérables que nous sommes devant cette explosion qu’est son oeuvre. Libération parce que l’infini, c’est-à-dire la révolution, est partout dans ces pages. Artaud : « On se sent beaucoup plus heureux d’appartenir à l’illimité qu’à soi-même. » Libération, c’est-à-dire révolution, parce que le beau traverse son oeuvre. Le monde sent mauvais, certes, mais il est tellement beau, quand on le lit. Chez Houellebecq, le monde sent mauvais, point final : c’est pour ça qu’il n’est pas un grand écrivain. Il n’a pas compris l’aspect contradictoire de notre monde, c’est-à-dire talmudique. Il est beau, ce monde ducassien, parce qu’il naît par une langue, celle de toute l’histoire de la littérature, de Pascal, de Vauvenargues, de La Rochefoucauld et de mille autres… Quelle langue ! On danse, chez Lautréamont. La poésie est la vie de la littérature, son poumon, et son oubli contemporain est le grand responsable de la médiocrité – majoritaire – des livres publiés de notre temps.

Sollers va plus loin, comme il nous le dit dans le dossier de ce mois-ci. Il est, rappelons-le, le dernier des avant-gardistes avec Marcelin Pleynet et Julia Kristeva à porter aussi haut Lautréamont. Il ne doute pas : ce gamin, mort à 24 ans, remet en cause TOUTE LA MÉTAPHYSIQUE OCCIDENTALE. Rien que ça ! Je ne sache pas qu’on dise ça de beaucoup d’écrivains…

Le comte est maudit, malgré les efforts de Remi de Gourmont, Valéry Larbaud, les surréalistes, Julien Gracq et quelques autres… Il est sorti en Pléiade en 2009, un jeune auteur, Camille Brunel, qui vient de publier un bon livre, Vie imaginaire de Lautréamont… et notre dossier… En train de sortir du purgatoire ? Et si j’étais sincère, je dirais pour quoi faire ?

Gardons-le pour nous. N’en parlez pas trop autour de vous sauf aux gens que vous aimez. À l’heure de la culture de masse, les petits secrets comme celui-là sont précieux.

Laissez les autres se jeter à la rentrée littéraire de septembre sur Jonathan Franzen. Et faites semblant de ne pas savoir que ce roman a déjà été écrit des milliers de fois depuis le XIXe siècle, qu’il y en aura encore des milliers à venir, tant qu’il y a des bourgeois il y aura du roman bourgeois.

Quand on lit Lautréamont, quand on s’y brûle, un certain nombre, que dis-je, un grand nombre de romans, deviennent impossible à lire. Le sommeil vient dès la première ligne.