Quel lecteur n’est pas en deuil de tous les livres non écrits qui auraient fait sa joie ? Quel auteur ne tient pas le catalogue mental des oeuvres qu’il aurait pu écrire mais demeurent projets ? Jean-Benoît Puech dresse un inventaire ludique de quelques ouvrages imaginaires dont il livre résumés et analyses. Neuf récits parmi lesquels un récit historique sur fond de chouannerie, un roman d’anticipation avant gardiste… 

          L’auteur mime les tics de la critique littéraire et universitaire. « Voyons comment cette fable franche est devenue l’ingénieux roman qui a ouvert la voie aux recherches les plus contournées de la modernité littéraire en Scandinavie », s’amuse -t-il par exemple. Au-delà du jeu, il questionne la nature de l’histoire littéraire. La littérature ne se compose-t-elle pas aussi des oeuvres disparues (témoin les tragédies antiques) et des textes possibles non éclos ? Puech renoue avec la tradition du bibliographe ou du bibliomane – et l’on sait que c’est à ce type de « fou littéraire » que l’on doit entre autres la fortune posthume d’un Lautréamont.« Un auteur n’existe pas seulement parce qu’il a publié des livres, mais aussi parce qu’il est l’objet des publications des autres : de leurs témoignages et de leurs biographies sur lui, ou de leurs articles et de leurs essais sur son oeuvre. » 
« Un auteur n’existe pas seulement parce qu’il a publié des livres, mais aussi parce qu’il est l’objet des publications des autres : de leurs témoignages et de leurs biographies sur lui, ou de leurs articles et de leurs essais sur son oeuvre. » 
Le rêve de tout grand lecteur ? Retrouver des chefs d’oeuvre perdus. Jean-Benoît Puech signe un livre virtuose, Le Roman d’un lecteur, il y invente les récits qu’il aurait aimé lire. Un voyage borgésien.
Des fantômes de chefs-d’oeuvre
          Jean-Benoît Puech flirte avec l’idée du canular littéraire. L’un de ses auteurs fictifs s’appelle McPerson – nom où l’on est tenté de trouver un écho du nom de James Macpherson, poète romantique qui écrivit les poèmes d’Ossian et les présenta comme la traduction des vers d’un barde du IIIe siècle… Jean-Benoît Puech va jusqu’à clore l’exercice par une confession du narrateur en faussaire. L’humour, ici, est un art d’interroger l’oubli. Dans ces récits, il est beaucoup question de fantômes. Ce n’est pas un hasard s’il invente un récit d’Henry James, l ‘auteur du Tour d’écrou, l’un des sommets du genre. Ailleurs, il cite Sandra (Visconti), Laura (Preminger), et L’Aventure de madame Muir (Mankiewicz), trois chefs-d’oeuvre du film de revenants, au sens large. La narration par séquences, elliptique et vive, favorise ce retour du refoulé.
          Un étrange désenchantement, nimbé d’ironie, plane sur le livre. Quelques grands motifs reviennent de récit en récit : l’infidélité d’une femme, la déloyauté d’un ami, le roman d’une désillusion politique au miroir d’un temps de crise. L’Histoire, y compris littéraire, est aussi la somme des directions qu’elle n’a pas prises.
« L’oubli n’est pas plus sûr que la mémoire, et le meilleur moyen de détruire se  tient plutôt dans la reconstruction. »