coup de maitreC‘est la scène que quiconque, doté d’un minimum de mauvais esprit salutaire, a rêvé de voir. Pince-fesses dans une grande entreprise argentine, costumes, discours. Célébration des noces de l’art et du capital : on va dévoiler, sous les yeux de son galeriste, Arturo, et de tout le gratin des dirigeants de la boîte, la toile commandée au peintre Renzo Nervi. Le tissu qui voile l’oeuvre est sur le point de tomber. Plan sur les visages de l’assistance. Les sourires passe-partout de ce genre de cérémonie officielle se décomposent en quelques secondes. Plan sur l’oeuvre, à présent visible, qui exhibe en majesté un monstrueux phallus blanc. Comme un doigt d’honneur de Nervi à tout ça. « Ca » ? Tout ce que Nervi déteste : l’art contemporain comme embellissement décoratif, trophée des plus riches. Nervi est un peintre vieillissant, tendance anarcho-libertaire, revendiquant son anachronisme bougon, son irréductible passéisme. C’est la première partie du film, désopilante, une espèce de version plus punk, moins cérébrale de The Square : Nervi passe son temps à dézinguer toutes les complaisances, les facilités de l’art contemporain. C’est de l’authentique satire, avec un réjouissant côté rentre-dedans sans complexe. Et dans lequel Renzo joue le vieux rôle du bouffon, du fou : celui qui par ses folies fait advenir la vérité. La dévoile, comme la toile de la cérémonie a dévoilé l’organe génital…

Mais Gaston Duprat l’avait prouvé avec Citoyen d’honneur, où il officiait en tandem avec Mariano Cohn : ses films sont comme des aplats de couleurs, ils superposent les couches, se stratifient et se compliquent. Et c’est la deuxième partie. Un accident. Renzo est fauché par un camion. Hosto. Sale état. Arturo passe des heures à son chevet. Nouveau dévoilement : celui de la puissance d’une vieille amitié. Sous l’apparence caricaturale d’Arturo (propre sur lui, allure trendy, toujours connecté, toujours prêt à arborer un air complaisant et mielleux), il y a le vieux copain de Renzo. La connivence d’antan ressurgit, celle de l’époque où Renzo vendait, où il avait le vent commercial en poupe. Renzo est face à sa décrépitude, à son corps abîmé, à la conscience d’une vie qui s’est maintenant enlisée dans le ratage. Et il demande à Arturo de bien vouloir l’aider à finir ses jours. Mais le film ne bascule pas dans la sensiblerie, la touche d’émotion ne jure pas avec la tonalité acide de la première partie. Au contraire, elle s’y mêle, s’y fond et définit toute la troisième partie. Qui joue, là encore, sur une histoire de dévoilement. En l’occurrence une jolie escroquerie. « Jolie » car on est du côté des escrocs. Du côté de ces vieux complices, Renzo et Arturo, qui mènent en bateau le monde de l’art, se foutent joyeusement de la gueule du monde. Comme deux sales gosses incorrigibles. Et c’est sans doute là l’ultime dévoilement de ce film, celui du mystère de l’art, où il entre toujours, comme le rappelait Ribemont-Dessaignes en jouant sur les mots dans Déjà jadis, une part de mystification…