scorsese

Le Loup de Wall Street, c’est DiCaprio en trader camé à la réussite insolente. Mais c’est aussi Scorsese déchiquetant joyeusement Wall Street, le bon goût et le cinéma. Un chef-d’oeuvre en forme de fête des fous.

Ca manquait à son palmarès pourtant bien fourni : « Marty » revient magistralement aux affaires avec un plantureux (une minute sous la barre des trois heures) film de cul. Non, le roi de l’épopée mafieuse survoltée ne patauge pas dans la fange de la pornographie. Mais, à peine le film entamé, ce sale gosse déluré de plus de 70 ans nous jette à la figure une paire de fesses, magnifiée par un gros plan insolent. Sur le galbe parfait de ce postérieur féminin, Jordan Belfort (DiCaprio, à l’abattage monstrueux) sniffe un rail de coke. Un doigt d’honneur colossal au bon goût et à la pudibonderie pouvant servir de raccourci à l’ensemble du film. Car Scorsese s’approprie un « grand » sujet, manière Casino (les arcanes de Wall Street, pompe à fric interlope, épileptique et en roue libre) pour en montrer les dessous souillés, l’envers crapoteux. Sous les Rolex et les Ferrari, la vulgarité abyssale, le staccato des « fuck », les parties de sexe débridées. Version punk de Wall Street, filmée pied au plancher, Le Loup de Wall Street dézingue toute la mythologie glamour des prédateurs du Dow Jones en bretelles et chemise à rayures, et orchestre un carnaval de bas instincts, une bacchanale de débauche à la grossièreté magnifique.

Car Le Loup de Wall Street est une fête grotesque filmée de main de maître par un Scorsese alignant les idées de mise en scène comme Jordan Belfort gobe ses sédatifs de prédilection, ses Quaaludes : à un rythme vertigineux. Le carnaval est dans les gènes mêmes du film, travestissement des Affranchis. Ainsi, l’histoire de Jordan Belfort, adaptée de ses Mémoires, épouse elle aussi la trajectoire brisée classique, « shakespearienne » : de l’ascension fulgurante à la dégringolade subséquente ; de la griserie du maître du monde à la chute dans la trahison. Belfort, c’est le « petit con cupide », comme il se décrit lui-même, débarqué à Wall Street dans les années 1980 et qui, à la tête d’une équipe de pieds-nickelés toxicos, fait de sa boîte de courtage (Stratton Oakmont) une success story étourdissante le propulsant dans la sphère des superriches. Mais Belfort n’est pas vraiment à sa place dans les tragédies catholiques de la pègre que sont Mean Streets ou Les Affranchis : il ignore le sens du péché. Il a une forme d’innocence, le privant de tout scrupule. Blanchiment d’argent, tripotages occultes, cynisme XXL : tout est bon pour s’enrichir, jusqu’au jour où il tombe dans les filets de la justice et doit se mettre à table pour dénoncer les uns et les autres.

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