dernier amourLondres, 1763. Echoué sur les bords de la Tamise, ne pipant pas un traître mot d’anglais, Casanova vit les heures les plus sombres de ses mémoires. Le coureur vénitien, exilé, trouve non pas une maîtresse, mais une femme qui sera son maître. Car la Charpillon, une prostituée, dont il tombe, lui, l’homme des aventures en cascade, éperdument amoureux, jusqu’à l’idée fixe, se refuse à lui. Et le Casanova jouisseur, cavaleur, véritable feu follet, devient soudain un corps accablé, massif, enlisé dans la mélancolie. Le corps de Vincent Lindon. Ce Dernier Amour est moins une chronique sentimentale qu’un bulletin de santé préoccupant – celui d’un homme qui voit sa vitalité s’étioler. 

Mais il ne faut pas confondre Casanova et Lindon : ce dernier ne souffre pas d’un défaut de vitalité, bien au contraire, la preuve, la genèse du film. « Mon ami Vincent Lindon, explique Benoît Jacquot, a appris que je m’apprêtais à tourner un film sur Casanova et il s’est immédiatement dit, Casanova, c’est moi. Cet élan était tellement irrésistible de sa part que je me suis dit, il me donne une paire de dés, je vais bien voir, en les lançant, s’ils sont pipés. » Première conséquence : il a fallu jeter son dévolu sur un autre épisode que celui de la d’Urfé, initialement choisi par Jacquot, cette monumentale et réjouissante escroquerie parisienne montée par l’aventurier. L’âge, la personnalité de Lindon, plaidaient en effet pour une tonalité moins allegro.

Le « côté sombre de la vie »

L’âge est sans doute la clef qui ouvre une nouvelle porte de l’existence de Casanova, celle de la vieillesse. N’écrit-il pas : « Ce fut dans ce fatal jour au commencement de septembre 1763 que j’ai commencé à mourir et que j’ai fini de vivre. J’avais trente-huit ans (…) Ce fut la clôture du premier acte de ma vie. » ? Chantal Thomas, coscénariste aux côtés de Jacquot et Jérôme Beaujour, et grande casanovienne, commente : « A trente-huit ans, à cette époque, pour un séducteur c’est le début du déclin. Il se pense lui-même avec la catégorie de la jeunesse, qui peut tout obtenir au premier regard, et la vieillesse pour lui c’est une malédiction. La Charpillon est un des premiers signes qu’il a basculé du côté sombre de la vie. »

En tout cas, Casanova, l’homme du mouvement, de la rapidité, doit apprendre à composer avec un élément qui lui est peu familier : le temps. La lenteur. Car la Charpillon le fait languir, lui impose un simulacre de fiançailles, différant sine die le moment de se donner. Benoît Jacquot a une comparaison inattendue mais particulièrement bienvenue : « Il est amené par la Charpillon à se penser mortel. Et c’est le signe que la Charpillon ne joue pas tant que ça, je crois même qu’elle ne joue jamais la comédie, elle ne ment pas, elle est dans une sorte de premier degré constant : elle l’aime. En faisant le film, je relisais Proust, et il y a un lien avec ce qui est en jeu chez Proust : je pense qu’Odette, malgré tous ses mensonges, attire Swann dans quelque chose qui lui fait comprendre qu’il est mortel. Et c’est une des versions possibles du lien amoureux, versant femme-homme. Ce n’est pas un homme qui va apprendre à une femme qu’elle va mourir… »

Elle l’aime mais elle lui tient la dragée haute. « Indéchiffrable » Charpillon, comme a pu l’écrire Chantal Thomas. Une énigme cette Charpillon, jouée sous la caméra de Jacquot par une Stacy Martin qui réussit à être à la fois lumineuse et opaque, car, juge Chantal Thomas « sous les traits de Stacy Martin, son comportement est à la fois léger, aigu, rieur… Elle a une désinvolture merveilleuse, une versatilité. » Une énigme telle que Casanova en perd sa langue. Lui, l’orateur de génie, dont le grand organe de séduction est moins sous la ceinture que dans la bouche, le voilà privé de son verbe. Chantal Thomas fait remarquer que « C’est un Casanova singulièrement muet, et ça fait partie de la douleur. Quand on commence à souffrir, on s’enferme. Il y a une sorte de matière du silence dans ce film. » Une parole entravée qui a un contrepoint dans la confection du film. Benoît Jacquot raconte : « La question de la langue était d’autant plus centrale que l’acteur, Vincent, ne parle pas un mot d’italien. Comme je lui suggérais de dire tout de même même quelques mots en italien, il m’a rétorqué, ce n’est pas Casanova que je ferais, c’est Aldo Maccione ! J’ai donc inventé que Casanova avait résolu, une fois banni de Venise, de ne plus parler un mot d’italien. Il a écrit ses mémoires dans un des plus beaux français que je connaisse, une langue inventive, vivante, cursive… et j’aimais bien l’idée de faire passer ça dans le film, en montrant un Casanova se cantonnant au français, à la langue dans laquelle il écrit sa propre vie. »

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