bonelloLa plus belle pièce de cette collection de séquences à la ligne hélas trop claire, trop froide, qu’est le Saint Laurent de Bonello, est un patchwork hétéroclite, un tissu baroque de fils capricieusement noués. Un épisode tardif, hallucinatoire et proustien, où la mémoire danse une sarabande visionnaire. Tout se confond : la solitude du couturier âgé, qui a les traits fatigués d’Helmut Berger ; un défilé d’instantanés de l’enfance d’Yves ; les années soixante-dix, où Saint Laurent a la prestance fragile de Gaspard Ulliel… C’est le Bonello de Tiresia et de L’Apollonide, le cinéaste du vertige, de l’enchevêtrement des sens et de l’esprit, qui déchire soudain la trame de son film. Accroc bienvenu, dont on aurait souhaité qu’il soit la règle et non seulement ce long morceau de bravoure. Car le reste est impeccable et froid comme une toile cirée, ornée d’un même motif, prévisible et ressassé à l’envi. Dans ce qui constitue la matière temporelle principale du film – la fin des années soixante et les seventies –, Bonello découpe la silhouette trop familière du créateur romantique. Albatros baudelairien qui vit très au-dessus du commun des mortels, consumé d’amour fou pour le dandy Jacques de Bascher (Louis Garrel, délicieusement fin de siècle), flanqué de son double terrestre, à la fois Méphistophélès et amant blessé, Pierre Bergé (Jérémie Renier), Saint Laurent l’homme s’évapore comme de l’Opium éventé derrière le mythe éternel de l’artiste maudit. Comme l’époque qui s’efface derrière des marqueurs un peu trop voyants, qui frisent le pittoresque ou l’image d’Épinal : la vie nocturne, la drague homo, le défilé des égéries et des muses (Loulou de la Falaise, Betty Catroux)… Le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert était « autorisé », Bertrand Bonello ne s’est pas suffisamment autorisé à être lui-même dans son Saint Laurent.