Feux d’artifice au-dessus des parasols. Pendant deux heures, le bunker de la Croisette aura perdu de son austérité : et si le meilleur film vu à Cannes était d’animation ? Et si les studios Pixar avaient proposé aux festivaliers l’expérience la plus inimaginable de la quinzaine ? Quelque chose d’impensé auparavant, un peu comme le 2001 du film d’animation. La question mérite d’être posée tant Vice-versa a suscité – outre les sanglots – l’enthousiasme amoureux et a été accueilli autant par la presse que par les festivaliers par des standing ovations. À l’heure où se multiplient les superproductions fascinées par le cosmos et l’infiniment grand (Interstellar, Gravity), Pixar s’ouvre aux territoires d’un tout autre univers : celui de l’invisible et de l’infiniment petit, plongeant son intrigue dans l’intime et le cerveau humain. Les personnages principaux de Vice-versa sont cinq émotions (la peur, la colère, le dégoût, la joie et la tristesse) qui commandent à tour de rôle le cerveau d’une petite fille au sortir de l’enfance. Riley est sur le point de devenir une préadolescente, période douloureuse marquée par un déménagement de son Middle West natal vers la grande ville. La découverte déçue de San Francisco, l’impression d’être en partie abandonnée par ses parents soucieux d’organiser leur nouvelle vie, l’inquiétude d’intégrer une nouvelle école donnent bien du labeur à chacune de ses émotions et nécessitent de leur part une réorganisation des tâches. Jusqu’à ce qu’une ultime désillusion de la petite fille provoque un séisme dans son cerveau et éjecte la joie et la tristesse hors de leur poste de commandement.

Idée géniale : la dépression est l’absence de joie et de tristesse. Si elle est une catastrophe pour Riley, elle est aussi la perspective des plus incroyables aventures. En envisageant l’intime comme un terrain de jeux et d’explorations, Vice-versa ouvre des perspectives narratives inédites. Le film est organisé en montage parallèle et alterné : on suit les drames de Riley et en même temps ceux de chacune de ses émotions. Il y a donc plusieurs héros dans Vice-versa : une petite fille et ses propres émotions. Tout le projet est contenu dans ce va-etvient permanent entre le dedans et le dehors, traduit par le titre anglais : In and Out. On est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de quelqu’un. Tout ce que vit Riley donne lieu à l’intérieur d’ellemême à des cavalcades, des courses-poursuites. Chaque moment de l’existence, même le plus banal, devient trépidant, avec ses enjeux et ses embûches. Ici un morne dîner est captivant comme une partie d’échecs puisque au cours du repas, on observe tour à tour la façon dont les émotions du père, de la mère et de leur fille réagissent pendant la conversation. Le simple passage à la préadolescence se transforme en tremblement de terre. La mort de l’enfance donne lieu au sacrifice bouleversant de l’ami imaginaire. Sous l’oeil de Pixar, chaque moment de l’existence relève de l’épique, du tragique et du comique.

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