Belle gueule un peu rock, moulée sur celle de Morrissey à la période où celui-ci se prenait pour James Dean. Air un peu hagard, comme perdu dans une histoire qui le dépasse. Géraud, jeune réalisateur venu présenter son film, Ma vie avec James Dean, en Normandie, a quelque chose de ces chevaliers ingénus, Adonis candides, tel Perceval égaré dans un royaume dont il ne comprend pas les règles. Mais le royaume où pénètre Géraud n’est pas celui du Graal : c’est celui, battu par les vents et le ressac marin, bien imbibé d’alcool aussi, de la côte normande. Et surtout celui d’Amour. Dès l’ouverture, le film est placé sous le signe de Cupidon. Bouille malicieuse, un gamin dérobe son portable à Géraud. Comme l’angelot de Vénus, dont les facéties plongent les humains dans la douce irréalité, un peu folle, de l’univers des sentiments, les déconnectant, puisqu’il est question de téléphone, du quotidien. Le film de Dominique Choisy est l’héritier d’un certain esprit français, de ces fantaisies enjouées auxquelles se plaisaient les romans classiques et baroques, où dans un décor de convention, délibérément artificiel, les mystères du coeur, les oscillations des affections, étaient sondés, captés, sur un mode gracieux, ludique.
Car ici, tout est artifice. Pétillement pop, très Demy, des couleurs de la côte normande : on se croirait dans une rutilante bonbonnière. Trame qui s’amuse à nouer, renouer et dénouer, les couples, dans un chassé-croisé qui va se raffinant en complexité et se soucie bien peu de la vraisemblance. Le jeune projectionniste, Balthazar, a les yeux de Chimène pour Géraud. Lequel erre comme une âme en peine : son film ne fait pas courir les foules (Ma vie avec James Dean vaut aussi comme chronique tantôt désopilante, tantôt douce-amère, des péripéties de la vie d’un film, du circuit des festivals), et surtout sa vie sentimentale est entrée dans une phase de glaciation. Tant l’acteur de son propre film, dont il est épris, semble le battre froid. Premier schéma sur le mode du relais : X aime Y qui aime Z qui n’aime pas Y. Que Dominique Choisy étire et ramifie en y superposant un autre : celui des amours en montagnes russes, de Sylvia, directrice de l’association qui a invité le jeune réalisateur, et de Louise, qui elle-même… Bref, on arrête là, mais le film se plaît, lui, à tirer tout cet écheveau et, de façon très théâtrale (la réceptionniste de l’hôtel où loge Géraud a d’ailleurs sans cesse du Tchekhov, voire du Rostand à la bouche), orchestre rencontres et croisements…
Tout ici est placé sous le signe du jeu, comme si le casino local, où Géraud passe une soirée solitaire, était, plus que les salles de cinéma où il présente son film, plus que l’hôtel ou le littoral, l’emblème du film. Jeu de regards (la première projection du film, avec son unique spectatrice, Géraud et le projectionniste, est une petite architecture complexe de coups d’oeil). Jeu de mains : celles qu’on se prend, celle qu’on ose, ou pas, poser sur le genou de l’autre. Jeux qui parfois menacent de verser dans la gravité – mais que l’élan de la comédie préserve toujours d’y tomber. Ma vie avec James Dean se regarde comme on pénètre dans une bulle irisée, rappelant que le royaume d’Amour n’est pas soumis à la pesanteur de ce monde.