Wonderland ( Heimatland en version originale) fait partie de ces concepts originaux qui parviennent à émerger dans le panorama cinématographique actuel. Dans ce film « catastrophe » indépendant, une nouvelle génération de réalisateurs de Suisse alémanique et romande imaginent l’anéantissement imminent de leur pays, frappée par unetempête apocalyptique. Pour Michael Krummenacher et Jan Gassmann, les initiateurs du projet, l’idée était de concevoir un long métrage sans rupture, tourné en français et en allemand, qui dessinerait les « différents visages de la Suisse en neuf histoires qui se recoupent ». Le résultat est à saluer et s’avère même impressionnant. Cet aboutissement, on le doit notamment au montage qui parvient à unifier ce récit choral écornant l’image d’Épinal de la Confédération helvétique. Ce film collectif est non seulement une réflexion sur l’actualité mais surtout un manifeste politique contre la société suisse, entourée de secrets infranchissables et de crimes passés sous silence. Dans cette histoire centrée sur une nébulosité effrayante qui s’amoncelle progressivement au-dessus des Alpes, dix cinéastes prometteurs, dont deux femmes, nous donnent à découvrir leur vision de l’apocalypse. Cette menace climatique, dont l’origine reste une énigme pour les météorologues, n’émane pas de l’étranger mais bien d’une menace intérieure, celle qui se cache dans cette nation en apparence neutre, stable et prospère. On suit dès lors une poignée d’individus confrontés à l’horreur de la situation : une policière hantée par une bavure, une famille slave, un homme d’affaires, un fan de foot ou encore un jeune couple. À l’instar des tent-poles cataclysmiques, Wonderland s’empare de certaines thématiques propres au genre et livre son lot de questionnements existentiels, de réactions diverses et de pillages de toutes sortes (le supermarché local). Lors de cette plongée chaotique dans les ténèbres, certains se recroquevillent, d’autres célèbrent la fin du monde, mais tous au moment de l’exode massif dévoilent une part de la face cachée du pays. Les dix dernières minutes sont d’une force terrible : sur un pont couvert de barbelés, aux frontières de l’Union européenne, les citoyens suisses se voient interdits d’accès par les Allemands. Une scène qui fait immanquablement écho aux milliers d’individus refoulés aux frontières suisses durant la Seconde Guerre mondiale. Une révélation saisissante que vient renforcer l’esthétique visuelle et picturale de ce nuage de la honte, d’une beauté oppressante. Les réalisateurs signent une curiosité cinématographique, pointant du doigt l’isolement et la responsabilité de la paisible Helvétie, qui s’est toujours construite en modèle, sur plusieurs décennies de forfaitures, de péchés et de politique controversée à l’égard des réfugiés.
L’Amère patrie
Dix jeunes cinéastes suisses envisagent l'effondrement de leur pays dans un film d'anticipation ambitieux