Malédiction des médias : le bruit de fond de l’info en continu devient un bruit blanc, les voix même les plus pressantes sont submergées. Aussi une conférence comme celle qui se tenait ce mercredi 29 septembre sous la triple houlette de Sciences Po, de la Fondation Cartier et du think thank de l’Iddri, est-elle infiniment précieuse. Flanqués de Fiore Longo (directrice de Survival International France) et de Sébastien Treyer (directeur général de l’Iddri), Dave Kopenawa et Almir Narayamoga Surui ont pu plaider la cause des peuples amérindiens du Brésil. Dave Kopenawa, chaman et porte-parole des Yanomami, et Almir Narayamoga Surui, chef des Pater Surui, ne sont pas de simples « whistleblowers », des pousseurs de hauts cris indignés. Leur parole (Almir Narayamoga Surui, en particulier, est un orateur consommé) est fervente mais nuancée, sans fioritures mais non sans complexité.
La belle image du « chemin planté par la nature » sert à Dave Kopenawa pour appeler à une prise de conscience et à une action internationales en faveur de la forêt amazonienne : c’est une voie que tous, et pas seulement les peuples autochtones, doivent suivre. Et s’il rappelle la faillite morale, juridique et écologique du gouvernement brésilien, s’il évoque une situation qu’il faut bien qualifier de génocidaire (« tuer tous les Indiens pour voler leur petit bout de terre »), si le calvaire des Indiens est rendu encore plus éloquent par la simplicité franche des termes choisis, il glisse néanmoins au détour d’une phrase que les orpailleurs, qui exploitent la forêt, souffrent aux aussi…
Même refus des analyses schématiques chez Almir Narayamoga Surui. Il n’a pas de mots assez durs pour dire le détricotage juridique à l’oeuvre au Brésil, les droits indigènes bafoués, en pleine régression. Conscient comme Kopenawa, de la dimension globale du sort des Indiens et de l’Amazonie, et de l’échelle planétaire du problème et de ses éventuelles solutions, il pointe la responsabilité du marché mondial : la déforestation, la surexploitation de l’Amazonie répondent à une demande qui n’est pas seulement brésilienne. Pour autant, Almir Narayamoga Surui n’est pas un va-t-en-guerre éconophobe : la forêt, précise-t-il, joue un rôle fondamental dans le maintien d’un équilibre écologique, bien sûr, mais aussi économique. Son maître-mot ? « Stratégie ». Celle, par exemple, qu’il faut appliquer à la forêt, qui n’est pas une entité intouchable : l’utiliser, certes, mais en trouvant les moyens d’en prendre soin. Le « gouvernement Bolsonaro est un gouvernement d’assassins des peuples indiens », mais face à lui se dresse une véritable pensée politique : résolue et consciente de la complexité des enjeux.
Exposition Claudia Andujar, la lutte Yanomami, Fondation Cartier, jusqu’au 10 mai