L’auteur de cette critique est aussi l’auteur du roman dont le film critiqué est l’adaptation. A supposer que ce cumul des mandats ouvre un débat éthique, la vision de ladite adaptation le clôt aussitôt. D’évidence, le roman n’a été à Kechiche qu’un aiguillon, une piste d’élan – un paillasson, ajouterait le romancier piétiné et ravi de l’être. Commençant par implanter une fable vendéenne à Sète, le fief sudiste où il avait déjà tourné La Graine et le Mulet, Kechiche a fait du Kechiche. Mektoub my love, canto uno offre même une sorte de version radicale de son art. Qui, partant, divisera plus que jamais.
Car Kechiche divise. Kechiche parfois rebute, et l’on ne parle pas de sa réputation de tyran des plateaux. Il fallait voir les grimaces de certains évoquant, non pas le tournage, mais la facture de La Vie d’Adèle. Les grimaces littérales. Ce n’était pas seulement un ensemble de réserves qui les mettaient à distance de l’oeuvre, c’était un malaise, un malaise physique. Concernant Kéchiche, et plus manifestement qu’à propos de n’importe quel autre artiste, le clivage est d’ordre physique.
De Mektoub on sortira comblé ou saturé, ivre de joie ou nauséeux, enchanté ou déchantant. Plus encore qu’avec Adèle ou La Vénus noire, puisque tous les boutons sont poussés, ce bloc de vie sera à prendre ou à laisser. A ingurgiter goulûment, ou régurgiter. Pas de place pour une position intermédiaire. Tu es dedans ou dehors. Tu prends ou tu sors. Tu t’enivres avec la bande, ou tu es le type à jeun dans une soirée vodka.
Séquence 1 : Amin, vingt ans, au côté duquel on a traversé Sète à vélo pendant le générique, surprend sa copine d’enfance Ophélie en pleine copulation avec son cousin Toni – première et dernière scène du genre, par la suite le désir omniprésent rendra superflue son actualisation sexuelle. La scène dure, Amin mate. Par la fenêtre d’une petite maison. Dispositif classique de voyeur qui justifierait, en toute orthodoxie, des plans cadrés depuis la position de l’observateur clandestin. Or la caméra est posée dans la chambre, avec le couple tout à son plaisir haletant. Elle cadre à fleur de chair et de peau. Au plus près des corps toujours, suffoquant avec eux, vibrant de leurs vibrations.
La mise en scène de Kechiche est corpocentrique. C’est le corps qui produit le plan et règle sa valeur. D’où pas de plans sans corps – pas ou peu de vues d’ensemble, par exemple. C’est sur lui qu’on serre toujours, car il est le foyer énergétique, il est la source et la destination, il est le sujet et l’objet.
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