À l’approche de la fin de sa vie – croit-il -, le romancier Gamal Ghitany, la soixantaine, se souvient dans un geste proustien. Se souvient, dans une prose incantatoire, de ce qui, par-dessus tout, fit de sa vie une traversée enviable : de la beauté, de la beauté des femmes. Écoutez-le : « C’est un fait, les émotions qui toute ma vie m’ont émerveillé et enflammé, qui m’ont permis de connaître les plus hauts degrés du contentement de l’âme et de la satisfaction des sens, ont trait aux femmes. »

 Ghitany est un esthète, et dans Muses et Égéries,  il se plaît à écrire sur toutes les femmes qu’il a rencontrées, au cours de ses voyages, à Cordoue, à Paris, à Samarcande, à Bagdad. Elles sont réelles mais surtout fantasmées, des images rêvées, des corps qui apparaissent entre la terre et le ciel. Les femmes hantent la terre et l’esprit de Ghitany, et légères comme l’air, elles mènent au Paradis, à l’infini. Écoutons-le  encore : « La beauté féminine n’est rien d’autre qu’un signe renvoyant à la pureté du monde. » Quel hymne ! Son amour des femmes, de la sensualité, nous ramène évidemment au grand Mafhouz. Sa trilogie, remarquable ! Ses femmes et l’ivresse de ces hommes de rien des rues du Caire… Quel beau souvenir de lecture !

 Laissez tomber Abbas al-Aswany et Sonallah Ibrahim, ces romanciers sociaux ont peu d’intérêt, sinon politique.

Amoureux de la littérature, lisez plutôt le génial soufiste Gamal Ghitany.  En cette époque de nihilisme, en ces temps  de désespoir, on fait encore paraître un rejeton (brillant par ailleurs) houellebecquien, Thomas Hairmont, livre sur le caca, Ghitany nous élève. Nous réapprend l’émerveillement. Ici, chez nous, les muses sont réduites à des corps, de la viande. Nos muses sont malades de la mort de l’esprit. On est encore en plein Baudelaire, poète de notre postmodernisme spleenétique. Rappelez-vous sa muse malade : « Ma pauvre muse, hélas ! Qu’as-tu donc ce matin ?/Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,/Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint/La folie et l’horreur, froides et taciturnes. »

 Magnifique, bien sûr, mais la mort rôde !

 Sorte de Sollers de l’Orient, Ghitany est notre avenir. Stendhal. L’amour. Venise. Le Caire… Le paradis.