D’abord parce la littérature, comme un enfant ou un vieillard, nécessite qu’on s’occupe d’elle. Elle a tellement besoin qu’on la protège contre l’écrasante société. Voir le monde par la littérature : une richesse en voie de disparition. La société est bien armée, des sociologues, des sociopathes devrais-je dire, ne jurent que par elle. Qui sont-ils ? Tout le monde à vrai dire, absolument tout le monde. À peu près tout le monde fait de la sociologie sans s’en apercevoir ! Des statistiques, des statistiques, et encore des statistiques, plein les journaux ! Et dans le meilleur des cas, pour les derniers lecteurs de Bourdieu : peut-être des enquêtes. Écoutez comme souvent Alain Finkielkraut se fait rabattre le caquet face à la garde rapprochée de la pensée (sociologique) dominante : « Taisez-vous, Finkielkraut, vous divaguez, vous n’êtes qu’un littéraire. »  « Qu’un littéraire » : comme une injure. Triste temps. Le mauvais homme, il avait oublié d’enquêter avant de l’ouvrir !

Il arrive que le roman sorte de l’ornière. Et là encore, désespoir : la sociologie comme un virus s’inocule, les romans à succès – je parle de littérature, je mets de côté Amélie Nothomb et sa bande de meilleurs vendeurs de livres – sont des romans sociaux ! Houellebecq là, Jonathan Franzen aux États-Unis. On n’en sort pas… Et comme la société française est bien armée, ces romans se voient soutenir par un organe de presse influent qui ne jure que par eux, le magazine de la bien-pensance Les Inrockuptibles. Tristesse !

Non vraiment, Charles Dantzig, on vous accorde ce grand entretien avec fierté, à la faveur de la parution de votre essai Pourquoi lire ?, car vous voyez bien qu’on compte sur vous, sur vous pour remettre un peu de désordre, un petit peu de chaos dans tout ça, un petit peu de révolution, de remettre un peu de littérature dans cette société fade qui de ses griffes étrangle toujours plus l’individu. Un peu de Stendhal, un peu de Proust, un peu de Remy de Gourmont, un peu de Fitzgerald, un peu d’Honoré d’Urfé et des autres. Des écrivains depuis Homère qui crient comme ils peuvent qu’une autre vie est possible, que la société nous offre peu, sinon de la médiocrité. C’est Alexandre Sokourov, le plus grand réalisateur vivant, qui nous le confesse dans le long entretien qu’il nous a accordé : « Le jour où l’Europe tournera le dos à la littérature, ce sera la fin. »

Il y eut et il y a toujours Philippe Sollers et Alain Finkielkraut qui pestent contre la défaite de la littérature, contre l’assèchement de l’être. Charles Dantzig s’ajoute.