Les sens comblés (déflagrations colorées, touche sensuelle et précise), le cerveau en surrégime tant les références et les questions se bousculent, on sort de l’expo de Nina Childress avec une furieuse envie de paraphraser Mallarmé et de dire de l’ex-naïade punk qu’elle est « la peinture personnellement. » Variété étourdissante de la facture, délibérément « bad painting » ici, d’une virtuosité à faire pâlir les grands maîtres là. Pasticheuse espiègle de la peinture en cinémascope de Courbet et son Enterrement à Ornans, elle excelle aussi dans l’hommage révérent mais jamais obséquieux lorsqu’elle invoque Bernard Buffet. Insolemment à l’aise dans tous les genres, de l’autoportrait à la nature morte, elle n’est pourtant pas confite dans la dévotion à la peinture d’hier ou avant-hier : icônes pop (Deneuve, Cher), causticité salutaire, l’artiste est restée punk dans l’âme. Et surtout, elle est restée Nina Childress. Sous ses mille avatars, le caméléon a une patte toujours reconnaissable, un style exubérant, exultant qui n’appartient qu’à elle.
Comment monte-t-on une exposition avec une artiste aussi protéiforme ?
La variété des styles est assumée ; il s’agit même du projet central de cette peinture. C’était effectivement ce qu’il y avait de plus complexe : faire une exposition cohérente avec une artiste qui a décidé de longue date d’avoir une bonne demi-cinquantaine de styles ! On connaît un peu le travail de Nina Childress, mais dans les expositions qui ont pu lui être consacrées, il y a toujours des choses qui distraient le spectateur, toutes ces choses qui font un peu « art contemporain » : murs peints, trépieds… J’ai adopté le parti pris inverse : montrer qu’il s’agissait uniquement, essentiellement de peinture, en présentant simplement les tableaux sur les murs. J’ai même radicalisé ça en utilisant des cartels, ce qui est assez inhabituel à la Fondation Ricard, un peu comme dans les musées. Et j’ai même suggéré à Nina d’encadrer certaines peintures, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant.
Des choix d’exposition que l’on retrouve dans le parcours lui-même…
La première salle, par exemple, est occupée par des oeuvres qui parlent justement de cette activité de peintre. Car c’est le sujet du travail de Nina Childress : la peinture elle-même. Ce qu’elle fait très bien, et très sérieusement. On trouve ainsi des scènes de pose. Qui peuvent être fictives : Nina a souvent utilisé des images où les personnages sont nus, mais ce ne sont pas forcément des scènes de modèles. Elle a travaillé avec un stock d’images provenant de la télévision américaine et de documentaires sur des camps de naturisme dans les années 70.
Une peinture qui a pour sujet la peinture elle-même : c’est une définition qu’on attendrait plus d’un peintre abstrait que d’un artiste figuratif comme Nina Childress…
Elle répond un peu à cette question dans ses oeuvres. D’une même image, elle peut faire surgir deux peintures qui ont des styles très différents. L’une extrêmement figurative, voire photoréaliste, une autre qui va convoquer d’autres styles. Et j’aurais adoré montrer également des peintures complètement abstraites de Nina, elle en fait aussi. Mais le coeur de son travail, c’est bien la peinture figurative. Il est vrai que les peintres dont l’ambition est de parler de la peinture ou de faire avancer cette discipline vont souvent vers la peinture abstraite ou des stratégies plus contemporaines encore, comme la sérigraphie. Nina fait exactement l’inverse : elle tente de faire avancer sa discipline en restant dans un langage classique, peut-être par opposition à des artistes plus versés dans l’expérimentation abstraite. C’est un choix assez conscient chez elle : il n’y aurait pas autant de portraits dans son oeuvre, sinon.
Exposition Nina Childress, Lobody Noves Me, Fondation d’entreprise Ricard, jusqu’au 28 mars