Si vous n’avez jamais encore rencontré la filmographie de Lav Diaz, une occasion se présente à vous ce jours-ci (du 25 au 31 janvier) au Centre Pompidou qui organise, dans le cadre du Festival Hors-Pistes, la projection de huit longs-métrages et la tenue d’une masterclass avec le cinéaste philippin. Et cette occasion, je vous incite chaleureusement à la saisir car l’oeuvre de Diaz est, sans conteste, l’une des plus importantes, des plus novatrices et des plus poétiques de ce début de siècle (et, croyez-moi, je ne cède pas en écrivant ces mots à une simple formule journalistique).
Si les films de ce cinéaste touchent si profondément, si viscéralement, c’est sans aucun doute qu’ils retentissent avec les catastrophes (politiques, écologiques) de notre siècle. D’une part, pour en mesurer l’étendue. Mais, d’autre part aussi, pour y faire face. Intimement lié au destin du peuple philippin, l’oeuvre de Diaz s’attache en effet à enregistrer les cataclysmes politiques (la violence des régimes militaires) et climatiques (typhons) qui dévastent l’archipel. Outre les ravages causés par la succession de dictatures martiales, les Philippines, comme de nombreux pays du Sud-Est asiatique, ont en effet abrité certaines des premières victimes des désastres écologiques, dont des tsunamis, des inondations, des immenses feux de forêt et d’épais nuages de smog. Or l’une des singularités du cinéma de Diaz tient à sa manière originale de nouer les désastres politiques aux désastres écologiques. Et d’intégrer les questions écologiques à l’exploration cinématographique de l’histoire de son pays. Tout se passe comme si, chez Diaz, filmer la nature consistait également une manière de lever le voile de l’amnésie (officiellement organisée) qui recouvre les traumatismes de l’histoire collective philippine.
Telle est donc la situation affrontée par l’oeuvre de Diaz : quand la terre commune est ravagée, l’homme, soudain, ne sait plus où il est ni d’où il vient : coûte que coûte, il se cherche un socle, un sol à soi. Telles sont les questions qu’elle pose : peut-on encore prendre soin du monde dans une époque et un pays où le lien avec le monde se défait ? Peut-on encore espérer habiter cette terre ? Et que peut bien signifier être un artiste à l’heure de toutes ces catastrophes ?
En tournant des plans d’une durée hors du commun qui suivent les destinées des opposants et des marginaux, l’oeuvre de Lav Diaz parvient, en dépit de l’inachèvement de l’imaginaire national, à représenter quelque chose de son peuple et à construire une mémoire collective. Son style, un peu comme celui de Pedro Costa, réussit également à transposer les lieux de l’exil et de la marge en espaces habitables : espaces où l’on se réfugie et, parfois se sauve. Si les fresques de Lav Diaz tâchent d’inverser le cycle traumatique dont son pays est victime et s’érigent contre le silence, l’amnésie et le refoulement c’est – et cela en fait la force – sans humanisme de pacotille. Car ses films veillent sur le monde, le bercent, le soignent, même si celui-ci est, en partie déjà, dans son linceul. Hormis peut-être le geste esthétique et moral de Malick, je ne connais rien d’aussi beau.