En sortant de la projection de Chambre 212 de Christophe Honoré, quelque chose me tracassait : « c’est tout de même étrange, me disais-je, ce cinéma dont les personnages ne semblent avoir aucune autre attente, aucune autre ambition, que celle de recevoir un gros câlin. Elle est tout de même irritante cette façon de dépeindre l’amour (sentimental) comme le seul horizon identifiable et véritable de tous nos élans, de toutes nos ardeurs, de toutes nos angoisses ». Attention, entendons-nous : je n’ai rien contre les histoires d’amour au cinéma ! Bien au contraire. Peu des choses m’ont, dans la vie, autant ému que les grands mélodrames de Borzage, McCarey, Sirk, Kazan, Lean ou Minnelli. Et peu de films m’ont autant transi ces dernières années que Portait de la jeune fille en feu (Sciamma), Two Lovers (Gray), Cafe Society (Allen), L’Ombre des femmes (Garrel), The Deep Blue Sea (Davies) ou Un grand voyage vers la nuit (Bi Gan). Sans même parler de l’oeuvre de Wong Kar-wai ou de celle de Carax. Mais c’est précisément que, dans ces films, le sentiment amoureux n’apparaît jamais comme une fin en soi. Au contraire, il y intervient comme un événement qui surprend, qui saisit, qui inquiète, qui soulève, qui exalte, qui déprime, qui transforme. Bref comme une expérience qui ouvre au monde. Comme un prisme qui nous révèle quelque chose sur notre coeur, sur notre corps, sur la lumière, sur la pluie, sur le jour, sur la nuit, sur le feu, sur la glace, sur la terre, sur la mer, sur la nature… et sur tout ce que l’univers comporte d’énigmatique. Ou, pour reprendre les paroles d’une chanson de Leonard Cohen, comme « la fissure par laquelle la lumière rentre ». En somme, dans ces films, l’amour est dépeint comme une aventure qui, parfois, traverse une vie et l’affecte. Et non pas, ainsi que le fait Honoré, comme une entreprise que, tel un ado suivant scolairement les conseils du courrier du coeur d’OK Magazine, il nous faudrait à tout prix tenter de « réussir » (ou, au moins, de ne pas foirer).
Vous l’avez compris, le cinéma d’Honoré souffre pour nous d’un grave défaut : il lui manque le sens du mystère. Le réalisateur des Chansons d’amour est certes habile à construire un espace théâtral, artificiel et archi-référencé (dont ses admirateurs loueront «la séduction pop »), mais c’est un univers en vase clos, cadenassé, étouffé. C’est un bibelot triste condamné à s’achever – exquise consolation – sur une chanson des Bee Gees partagée dans un bar. Mais on ne respire pas ! On manque d’air ! Pour notre part, nous avons soif d’un cinéma plus vivace, plus ouvert, plus secret, plus libre, plus imaginatif. Nous nous languissons d’un cinéma plus authentiquement séduisant. Rappelons que Baudrillard définissait la séduction comme « une magie noire de détournement de toutes les vérités » permettant de s’affranchir de la logique de production du sens. Précisément : nous attendons des récits qui mettent en scène le mouvement par lequel le sens se refuse. Des récits qui épousent la dynamique par laquelle le réel nous échappe. Des récits qui suivent des remous qui nous arrachent à nous-mêmes. Alors d’accord, les cinéastes, parlez-nous d’amour, dites-nous des choses tendres, mais que vos déclarations soient des rébus, que vos paroles soient des charades, que vos mots soient de magiques, de fascinants, de maléfiques hiéroglyphes !