amants de caracasLes Amants de Caracas (Lion d’or Venise 2015) rejoue le blues urbain de la modernité de Döblin et Dos Passos, mais en lui donnant un timbre gay, latino, contemporain. Armando (Alfredo Castro, vu chez Pablo Larraín, présence physique intense, traits indéchiffrables) est un homme-monade. Un solitaire qui semble avoir anesthésié ses affects. Vie sociale : néant. Vie familiale réduite à quelques vestiges et aux réminiscences de ce qu’on devine avoir été un drame lié au père. Vie sexuelle : un rituel de chasseur, mais un chasseur qui serait moins un prédateur qu’un voyeur. Il paye, regarde les garçons se dévêtir dans son appartement bourgeois, se masturbe et la pièce est jouée. Excitation oculaire, et encore, rien n’est moins sûr : le travail très concerté sur la profondeur de champ, la façon dont l’arrière-plan se dissout dans un brouillard de flou suggère qu’Armando est un regard qui ne voit rien, un de ces anonymes, solitaires et sans intériorité, comme en produisent les grandes villes.

Et voilà qu’il rencontre Elder, splendide de jeunesse animale. Une gouape pasolinienne, la grâce en moins, l’appétit en plus. Leur histoire, rabotée au minimum narratif, prend le virage romantique de la rédemption amoureuse. Le vieux loup s’éprend du jeune sauvage. Fausse piste. On parlera sans doute beaucoup de Michel Franco à propose de Vigas, mais les personnages de Franco ne pensent qu’aux autres. Pour les aider ou les détruire. Armando, lui, est confiné à lui-même. Retranché derrière une muraille psychique dans laquelle seuls le regard, la violence, le fric ouvrent des brèches. Désespérant ? Non. Car envers et contre tout, quelque chose pousse Armando vers Elder. Puissance du désir rapprochant les atomes humains les uns vers les autres.