montagne magiqueRéfugié polonais à Paris dans les années soixante, Adam Jacek Winkler a combattu toute sa vie les bolcheviques qui avaient décimé sa famille en 1939, puis rejoint dans les années quatre-vingt les troupes du commandant Massoud en Afghanistan. Par-delà le temps, la mort, la voix de Winkler raconte, sous la forme d’un conte picaresque, et dans une salle de cinéma virtuelle, son existence haute en couleur à sa fille qu’il a quittée trop tôt pour partir au combat. C’est le chanteur Miossec qui prête sa voix sourde à ce héros méconnu, ce chevalier immémorial des temps modernes, à la fois Corto Maltese, Don Quichotte et Achab, anarchiste et gentilhomme de fortune. La cinéaste roumaine Anca Damian lui rend hommage sous la forme atypique, rare, du documentaire d’animation, genre dans lequel elle s’est déjà illustrée depuis quelques années en s’intéressant à chaque fois à la place des héros dans notre société et à leur rapport intime à la vie et à la mort. Dans une démarche postmoderne, jouant avec les archétypes picturaux, les références cinéphiles comme les matériaux artistiques, elle utilise les dessins naïfs, les peintures merveilleuses mais aussi les photos prises en Afghanistan par son héros, alpiniste mort au sommet du mont Blanc, peu après l’assassinat de Massoud et les attentats du 11 septembre. Le film est hybride jusqu’au vertige, composé d’archives, de prises de vues réelles, de gravures, de collages en carton, de découpages papier, de pâte à modeler, de parodies de vieux films muets, de peintures inspirées (entre autres) de Chagall, de l’art populaire comme des romantiques et des symbolistes polonais. Mais le tour de force absolu de La Montagne magique est d’inventer pour chaque séquence de la vie de Winkler une animation à la fois simple, rudimentaire, comme au ralenti mais toujours adéquate, changeante en fonction des décors, des situations. Représenté en carton par une simple tête à Paris, ou en dessin surmonté d’un photomaton en Afghanistan, Winkler claudique, trotte sur quelques pas. À chaque étape, chaque calligraphie, on sent la magie du mouvement et de l’artisanat, un peu boiteux à mille lieues des films d’animation d’aujourd’hui qui ont fait de la seule fluidité leur mot d’ordre. Cette attention au geste, sans aucun souci d’épate, d’ostentation écorative, fait de La Montagne magique le plus beau des hommages à Winkler : un film patchwork en parfait mimétisme avec son sujet, parfois lent comme la pensée qui se déplie, libre comme le changement d’air, ténu comme ses objectifs et ses valeurs chevaleresques, indépendant à tout prix, à mort. Une exception au formatage de l’animation mondialisée. Pour venir à bout de ce film farouche, sa réalisatrice a dû longtemps batailler et trouver des partenaires en dehors de son pays où il n’existe à ce jour aucun studio d’animation.

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