grecoQui estimait, en toute modestie, qu’il pouvait « corriger » Michel-Ange ? Qui avait la langue si bien pendue, qu’il a été chassé du palais Farnèse, à Rome ? Qui annoté un exemplaire de Vitruve de remarques souvent vachardes sur d’autres artistes ? Réponse : un génie, Greco (1541-1614). Un génie chez qui, suggère Guillaume Kientz, co-commissaire de l’expo, tout est affaire de langue. Pas seulement parce que le Crétois, passé par Venise, puis Rome et enfin Tolède, a dû, par la force des choses, s’improviser polyglotte. Pas seulement, non plus, parce qu’il avait l’art de tourner des jugements peu charitables sur ses pairs. Non, Greco fut d’abord un grand traducteur, passant de la formation et de la rhétorique visuelles du peintre d’icônes orthodoxes à la Renaissance vénitienne, pour enfin trouver son style propre, mais nourri de tous les idiomes assimilés. Ainsi, la perspective inversée propre à l’icône, ou encore les clairs-obscurs vénitiens (splendide Adoration des bergers, à Tolède) : Greco les a intégrés à sa grammaire. Et que dire de sa propension à la déclinaison, à la conjugaison ? Greco est un grand peintre de la variation, témoin les deux toiles représentant saint Pierre et saint Paul, tout comme il sait passer du portrait (mention spéciale à celui du cardinal Nino Guevara, avec ses lunettes) à la grande scène biblique. Barrès parlait de « ce beau problème espagnol » qu’était Greco, mais le problème est plus pour l’historien ou le critique d’art, que pour le visiteur, que touche tout de suite la langue picturale du Greco, sa force et sa splendeur.

Exposition Greco, Grand Palais, du 16 octobre au 10 février