rancon de la gloireLa Rançon de la gloire tend une belle perche au critique. Une histoire autour de la mort de Chaplin, le vol de son cercueil, l’incrustation d’extraits de ses premiers films ? Perche attrapée : le nouveau Beauvois est un hommage au burlesque. On l’a lu, le lira, l’a entendu, l’entendra. Et cherchera en vain ce qui, concrètement dans l’image, accrédite cette réflexion réflexe.

Bien sûr, quelques moments tirent au mime – déterrer un cercueil, l’engouffrer dans un break, attraper une ampoule de guirlande de Noël lancée d’en bas –, mais ni plus ni moins que dans n’importe quelle comédie, primitive ou contemporaine. Bien sûr, il y a ce dialogue animé que couvre une nappe incongrue de musique off, donnant un cachet de film muet à la gestuelle parlée d’Osman et Eddy (Zem et Poelvoorde). Et sinon ? La teinte générale de l’image, un cran au-dessus du noir et blanc ? Tous les films issus de la collaboration entre Champetier et Beauvois baignent dans cette lumière.

La Rançon de la gloire est bien un film sur Chaplin, une rêverie autour de, un conte travaillé par. Mais travaillé sur un mode plus élémentaire, plus organique, plus frais que l’hommage au genre ou la révérence patrimoniale. Chaplin, oui, mais par où il rejoua à l’écran sa jeunesse misérable ; Chaplin au point de jonction entre Charlie et Charlot. Appelons ça le point clochard. Dès lors, Osman et Eddy, conversions fictionnelles du Polonais flanqué d’un Bulgare qui pour de vrai chipèrent le cercueil du génie à peine inhumé, accomplissent bien davantage qu’une crapulerie gentiment profane. Il ne s’agit plus d’un vol mais d’un juste retour des choses. Une restitution à qui de droit. Une recaptation d’héritage. À nous vagabonds vous avez piqué notre saint patron ? Alors faudra raquer pour le reprendre. Passant dans les mains du binôme nickelé, Charlie est rendu à l’Internationale des pauvres que son presque homonyme célébra aux yeux du monde.

S’il n’est pas certain que la personne d’Eddy se raconte tout ça, il est certain que son personnage porte tout ça. Comment l’idée du plan foireux lui vient-elle ? Devant un bout de JT de décembre 77 où une archive montre le génie hilare après la signature d’un contrat en or avec les boss d’Hollywood. Sur dix mille archives possibles, sur dix mille jalons de vie à mentionner, Beauvois et son coscénariste choisissent celui où l’orphelin sorti du ruisseau s’assure une existence de nanti. Les quelques vues sur sa dernière demeure, redoublées par la raide élégance britannique de son secrétaire joué par Peter Coyote et la beauté sculpturale de sa petite-fille que le malin Beauvois a eu l’idée d’intégrer au casting, achèveront de convaincre que la question posée ici est à peu près la suivante : l’art consacré est-il voué aux pantoufles brodées ? Faut-il vraiment que le génie finisse suisse ?

[…]

EXTRAIT… ACHETER CE NUMÉRO