Il aura donc fallu attendre Larry Clark, septuagénaire new-yorkais, pour qu’un film donne à la jeunesse française un peu d’énergie électrique et corrosive. Peut-on d’ailleurs parler de jeunesse française, alors que le film semble si peu concerné par la société dans laquelle évoluent ses personnages ? En effet, malgré quelques indices socioculturels permettant de saisir l’environnement des jeunes skateurs parisiens au coeur de la tourmente, The Smell of Us prolonge la grande idée du cinéma de Larry Clark : la jeunesse est un pouvoir qui transcende les classes sociales et inonde le monde d’une force inconsciente. Rarement film du cinéaste n’a aussi bien montré ce magnétisme, avec une noirceur presque terrifiante. Larry Clark, chantre de la jeunesse, témoigne à son égard d’une fascination de plus en plus grande à mesure qu’il vieillit. Et c’est bien ainsi que The Smell of Us se présente d’emblée : comme la tentative de corruption et de possession de la jeunesse par la vieillesse. Comme si celle-ci était une malédiction qui, pour cesser, devait sacrifier des vies innocentes. Le film s’ouvre d’ailleurs sur Larry Clark à terre, sorte de clochard céleste, littéralement prosterné aux pieds des petits skateurs du Trocadéro. Un peu plus tard, il se met en scène léchant les pieds de Math (Lucas Ionesco), ange violé ; il lèche les orteils juvéniles comme il sucerait son pouce, fermant l’arc des âges dans un babil de bébé dégénéré.
L’opposition des âges est avant tout une opposition des corps, ceux que les jeunes vendent, beaux, désirables, et ceux qui les achètent, dont l’obscénité est menaçante. Car parmi la bande des jeunes skateurs, certains se prostituent, sans même savoir précisément pourquoi, sans doute pour comprendre le pouvoir dont ils sont dépositaires malgré eux. Le film se place entièrement du côté de cette quête, et tous les moyens sont bons pour percer le mystère de la jeunesse. En témoigne la magnifique scène de boîte de nuit, au cours de laquelle un individu moins jeune que les autres se colle aux corps des danseurs, les scrute, les mange des yeux. En témoignent aussi les nombreux plans filmés au téléphone portable qui montrent la beauté de la chair passée au tamis de la pixellisation baveuse. Mais cette fascination fétichiste porte en elle une mélancolie morbide, et tout indique aux personnages que leur pouvoir est éphémère. Ainsi quand Math, en rendez-vous chez un vieux client qui met un disque, s’exclame « elle est marrante cette musique », ce dernier lui répond : « T’inquiète, avec l’âge tu la trouveras triste. » En un clin d’oeil, la jeunesse s’envole et laisse place à un regard déjà mort et désenchanté. Ici, c’est celui de Michael Pitt, qui traverse le film comme un esprit, revenu de la tombe où l’avait laissé le Last Days de Gus Van Sant. Pourtant, The Smell of Us accorde sa foi à la bande de jeunes qui le compose, à travers des scènes toujours inspirées et une narration d’une liberté stupéfiante. Et même quand certains de ses membres disparaissent d’avoir trop joué avec leur pouvoir, la bande se reforme instantanément, emportant tout sur son passage. Comme un feu de joie qui, tant qu’il brûle, éclaire le monde.