Reçus dans l’intimité d’une salle voûtée à l’auguste parfum des caveaux de jazz qui parcourent les sous-sols de Paris, nous nous installons dans ce qui doit être l’une des plus petites scènes de la capitale. La pièce débute sans levée de rideau et sans assombrissement progressif de la salle, il n’y a que deux comédiens, un piano et leur dispute. Cette simplicité, on la retrouve tout au long de la représentation, au détour d’une adresse au public ou bien grâce à l’humour. Elle crée un climat de communion qui facilite l’échange entre acteurs et spectateurs tout en imposant aux deux hommes sur scène une sincérité dans l’expression. Dans un mouvement général, il est impossible de ne pas se sentir soi-même engagé sur scène tant la frontière entre les comédiens et le parterre est fine. Une singularité dans le théâtre actuel où les grandes salles sont favorisées et où il devient rare de pouvoir observer un homme jouer à moins de quelques mètres.
Traduits pour la première fois en français, les différents monologues qui composent Faire semblant d’être normaux , traversent le genre méconnu du teatro canzone inventé par Giorgio Gaber et Sandro Luporini. Ce genre, né dans l’Italie des années 70, souhaite que chanson et texte aient la même place sur scène afin que cette dernière devienne un langage théâtral à part entière. Gaber, ravisseur de sa propre identité, devient alors Signor G , un personnage qui serait tout le monde : “Monsieur G, c’est Monsieur Gaber, c’est moi, c’est Luporini, c’est nous. Finalement, c’est essayer de perdre son identité et tenter de revêtir celle du plus grand nombre ». Sur scène, comme dans un tour de prestidigitation, Signor G se transforme en baigneur, en philosophe underground, en amante. Puis, il perd les clefs de sa voiture, il perd sa voiture et il perd sa mère. Les répliques et les notes de piano s’enchaînent dans un tourbillon discontinu de paroles et de sons. On est porté d’une histoire à l’autre traversant mille vies en seulement 70 minutes. Il n’y a que des situations banales dans ces saynètes, le quotidien est de mise et pourtant, loin d’être morose, être normal laisse finalement une profonde impression de joie.
« Faire semblant d’être normaux » mis en scène par Stéphane Miglierina, du 14 janvier au 17 mars aux Déchargeurs