mommyLa voici donc en salle, l ‘attraction sensationnelle de la Croisette, que la rumeur avait auréopalmée la main sur le coeur et les larmes aux yeux. Il semble que prise ainsi dans l’automne, alors que les têtes sont rafraîchies, cette Mommy ait perdu un peu de son éclat, mais il est incontestable que Xavier Dolan signe ici l’un de ses films les plus réussis. L’histoire, minimale, suit les relations passionnelles d’une mère excentrique (Anne Dorval), façon nounou d’enfer québécoise, et de son ado à problèmes (Antoine-Olivier Pilon). Couple bientôt rejoint par une voisine tristoune (Suzanne Clément) prête à retrouver des couleurs auprès de ces individus festifs. Le film, à l’aide de son fameux format 1:1 (image carrée), se donne à voir comme exercice de portrait autant que comme étude de moeurs. Comment s’aime-t-on malgré les problèmes d’argent, les troubles du comportement et l’isolement social ?

Une telle question permet d’ouvrir la vanne aux scènes fortes, brutes et débordantes : tous les ingrédients sociologiques sont réunis pour qu’éclate l’amour vache et violent que le cinéaste affectionne. Les comédiens sont excellents, et dépensent une énergie folle pour faire de ces moments de bravoure le coeur du film. Mais Mommy semble parfois tourner en ellipse autour de ce noyau sensible, s’en éloignant parfois au point d’atteindre un faux rythme, alors composé de champs/contrechamps aplatis. Le volontarisme de Xavier Dolan, qui parvient à faire passer certaines scènes au forceps – la bagarre entre « mommy » et son fils, ou encore toute la fin du film –, révèle aussi un désir d’emprise sur les moindres flottements du réel. Le film semble alors souffrir d’un souffle au coeur, puisque son réalisateur préfère le brider plutôt que d’être surpris par lui. Pourtant, l’essentiel de Mommy se joue dans la conscience de cet enfermement. Le format de l’image, étouffant les personnages, est ainsi l’occasion d’une belle résolution, lorsque, sous l’effet d’une harmonie joyeuse entre les protagonistes, le fils sur son skateboard agrippe les bords du cadre carré pour l’élargir, comme une respiration spontanée du film.

Cette astuce est assez révélatrice de la force (parfois fragile) du cinéma de Xavier Dolan. Le seul horizon possible pour les blocs d’émotion mis en jeu consiste en un enchantement purement visuel. L’esprit de sérieux contenu dans un auteurisme trop revendiqué est ainsi désamorcé. C’est dans des vignettes sans profondeur, lisses et brillantes comme des autocollants Panini ou des idées pour clips, que Mommy trouve paradoxalement une énergie et un enthousiasme communicatifs. Xavier Dolan est depuis le début dépositaire d’une esthétique pop qui, si elle est parfois vaine, se trouve être l’expression la plus fidèle de sa conception de l’émotion. Ainsi, la culture populaire (visuelle et musicale) des années quatre-vingt-dix s’épanouit dans Mommy, de Céline Dion aux costumes des personnages, d’Eiffel 65 (Blue) aux ralentis orangés comme une publicité glissée entre deux sitcoms. Plus qu’un simple habillage du récit, ces partis pris esthétiques animent véritablement le film, précisant sa question : comment s’aime-t-on sincèrement lorsque l’on est imbibé d’une vision de soi et du monde délavée par la culture marchande ? Ou pour le dire autrement : comment vivre des émotions fortes avec un appareil d’images faible ? La réussite de Mommy est à chercher du côté de cette aliénation de bonne foi, témoignage d’une mise en scène tiraillée entre une ambition grandiose et un cinéma de poche.