La Forme de l’eau, dernier symptôme de l’infantilisme disneylandisé où se délayent les productions XXL grand public d’Hollywood, a le goût de l’élément aqueux de son titre : insipide. Deux heures de faux merveilleux, de conte toc, édulcoré à la nostalgie des ambiances chromées sixties. Comme une bouffée de parfum éventé de ces séries Z vintage où un argument de SF horrifique tenait lieu d’allégorie bricolo de la psyché de l’âme US. On songe à L’Etrange Créature du lac noir, et ça tombe bien, del Toro, en rajoutant dans la patine nostalgique, lorgne explicitement sur le film de 54. Puisqu’il s’agit là aussi d’une créature marine, monstrueuse juste ce qu’il faut pour ne pas effaroucher le spectateur. Soit un triton humanoïde, espèce d’E.T. du milieu liquide, au visage expressif où se lit toute la palette des émotions humaines. Capturée en Amazonie, dépêchée manu militari dans l’enceinte ultra-confidentielle d’un labo militaire US à Baltimore en pleine Guerre froide, la chose suscite l’intérêt énamouré d’une femme de ménage muette, Elisa. Envoyez les violons, l’idylle interspéciste peut commencer. Objectif : soustraire la créature vouée, comme on dirait aujourd’hui, par sa « différence », à servir de cobaye expérimental, à l’infect Strickland, parangon de machisme militaire. Lequel est joué par Michael Shannon, qui est sans doute la seule raison valable de se coller devant ce film à la lumière hideusement caro-et-jeunettienne, comme ripoliné de jaunes étouffés, de verts sous-marins. Une lumière d’ambiance, plus que de cinéma. Elisa se trouve des alliés : sa collègue, la femme de ménage black Zelda ; un voisin peintre homo, esthète vieillissant et sentimental, qui donne dans la scène de genre mièvrement réaliste façon Norman Rockwell du pauvre.
Sur ce canevas, le film tourne à l’eau de boudin. Car si del Toro croit faire du merveilleux, il n’en offre qu’une version light, inoffensive. Là où les histoires d’ogres, de Chaperon ou d’Alice, s’ingénient, à mots plus ou moins couverts, à torpiller les lois sociales, physiques, psychologiques, del Toro est servilement conformiste. Socialement : le « méchant » Shannon incarne toutes les tendances réacs. La loi morale est sauve, Elisa et son monstre – camp du politiquement correct, pardon, du Bien – sont les pourfendeurs du camp du Mal. Au nom de la belle solidarité des freaks, des laissés-pour-compte et des handicapés : le monstre, la Black, l’homo, la muette. Le monstrueux n’est pas méchant, il est seulement autre, incompris. Même approche sage et convenue d’un point de vue plus large, cosmologique si on veut. Le merveilleux fait parler les animaux, doue les êtres inanimés de sensibilité, bref, chambarde tous les mécanismes de la nature. Et on se dit que ce devrait être le cas, lorsqu’Elisa rejoint, nue, la créature, qu’elle cache dans sa salle de bains. Outre que le rideau (de douche) est, littéralement, pudiquement tiré sur l’épisode, Elisa raconte la chose à Zelda comme elle lui parlerait d’une première nuit avec n’importe quel membre mâle de l’espèce humaine. Le grand brouillage biologique, la transgression du tabou de la distinction des espèces dans le sexe, ce n’est pas chez del Toro qu’on le trouvera. Aucune confusion, aucune véritable hybridation ici. L’ordre du monde est intact. Del Toro ou la fantaisie sans anarchie.