Californie, début du XXIe siècle. Pas la Californie permissive et sensuelle de Los Angeles. Ni celle, branchée et sophistiquée, de San Francisco. Mais celle, terne et plombée, du nord de l’Etat au sujet duquel Joan Didion écrivit – la citation apparaît au générique – que « quiconque évoque la Californie hédoniste n’a jamais passé Noël à Sacramento ». 2002 : les Twin Towers se sont effondrées un an auparavant sous les yeux de la planète médusée ; les Américains regardent la guerre en direct à la télévision ; la middle class commence à perdre pied économiquement. Christine vit sa dernière année au lycée. Elle se coltine toutes les difficultés liées à son âge et à sa classe sociale : les premiers émois sensuels, le besoin d’affirmer son identité, la nécessité de choisir une université et de se projeter dans l’avenir, le spectacle des soucis financiers de ses parents et de la dépression de son père, une relation à vif avec sa génitrice. Mère et fille passent leur temps à s’élancer l’une vers l’autre. Et… à se rater en permanence.
Résumée ainsi, la première réalisation de Greta Gerwig, connue pour ses interprétations de personnages fantaisistes et décalés (Damsels in Distress, Frances Ha, Mistress America), pourrait passer pour un récit initiatique de plus, un énième coming of age movie, genre dans lequel le cinéma U.S a souvent excellé (Le Lauréat, Rushmore, The Breakfast Club, Stand By Me, Boyhood). Mais, comparés à ces titres majoritairement masculins, Lady Bird propose une partition d’une profondeur inédite. Au point que certains critiques outre-Atlantique affirment déjà que nous tenons là le meilleur coming of age movie jamais réalisé. Pourquoi tant d’enthousiasme ? C’est qu’il y a tant de choses à admirer ici ! La conduite du récit, ponctué d’ellipses, saisit les situations sans s’appliquer continuellement à nous rappeler qu’on est en train de nous raconter une histoire. La réalisatrice pose sur ses personnages un regard âpre mais toujours bienveillant, délicat mais jamais mièvre, amusé mais jamais caricatural, frontal mais jamais plat. Enfin, la direction artistique de l’ensemble tient aussi bien du réalisme de Mike Leigh, de l’abstraction lyrique de Woody Allen et de Claire Denis, que de la poésie écorchée de Chantal Akerman et Jean Eustache.
C’est surtout que le film est empreint d’une grâce saisissante. Composé comme un triptyque médiéval, éclairé de couleurs pastel légèrement délavées, chaque plan évoque une pudique déclaration d’amour : à sa ville, à sa mère, à son passé. Ainsi qu’une discrète action de grâce et qu’un acte de foi en la capacité de la mémoire à restituer le passé dans sa transparente et diamantine pureté. Commentant les rédactions de la jeune fille, Soeur Sarah Joan lui explique que « l’attention est une forme d’amour ». La phrase est emblématique : voilà un film qui, sans aucun dogmatisme ni religiosité, est pénétré du sentiment de la grâce qu’il y a à regarder la vie autour de soi et à s’ouvrir au monde.