Tempus fugit. Ce film s’ouvre sur une scène merveilleuse, peu vue au cinéma. Une fillette se regarde dans le miroir. Elle se parle lentement à elle-même. Elle a une conscience, elle vient de s’en rendre compte. Cette fillette, c’est sans doute Françoise jeune, une quadragénaire qui enseigne l’histoire de l’art. Après des années passées à Paris, elle a décidé de revenir à Rennes pour se retrouver seule, ses racines natales mais aussi sa jeunesse estudiantine du temps de la grande époque du rock rennais du début des années quatre-vingt. Un passé qu’elle avait fini paroublier. Mais il y a aussi Ion, un étudiant en géographie qui tombe amoureux d’une jeune fille aveugle. Ou encore le fils de Moon, une ancienne camarade de Françoise devenue SDF et qu’Ion cherche à fuir. Comme son titre l’indique, ce long film, habité de nombreux personnages, avance par petites touches, ramifications narratives complexes, digressions culturelles passionnantes pour former une suite sur la fuite du temps. Suite armoricaine épouse la trajectoire de Françoise jusqu’à ce qu’elle rencontre Moon. Cut. Puis on revient sur Ion fuyant Moon, laquelle croise soudain Françoise. Impossible de savoir à quel moment du temps du récit, le passé et le présent se croisent, rythmés par le chapitrage des séquences. Il y a du Desplechin dans cette façon de jouer avec les temporalités, de faire cohabiter le mythologique, le psychanalytique et le romanesque. Une nuit, Françoise est ainsi assaillie dans un rêve par un sphinx géant, au milieu de Rennes. Mais à la grande différence de Desplechin, Pascale Breton ne pratique pas les ruptures brutales de ton ou de genre. Cette suite est même d’une grande homogénéité. Tout est musicalement doux ici. Les séquences s’enchaînent à un même rythme apaisé. On suit tranquillement deux consciences en pleine révolution, cheminant à tâtons l’une vers l’autre dans les coursives labyrinthiques de l’université. Même les esclandres chez Breton sont apaisés. Ce sont de véritables chorégraphies au ralenti. Des camarades d’Ion viennent un jour le trouver pour lui demander pourquoi il ne vient plus en cours, pourquoi il se laisse aller. La scène est filmée à l’extérieur d’une pièce. On la suit à travers une vitrine, comme derrière un filet opaque. La scène est muette. Au lieu de leur répondre, le jeune homme balance ses affaires de façon grotesque et s’enfuit. Les jeunes filles, au lieu de lui crier après, l’imitent en gesticulant comme s’il s’agissait d’une danse. Au lieu de composer sa suite à la façon d’une énième élégie nostalgique, Pascale Breton se refuse à tout pathos. Aucune scène flamboyante de souvenirs. Le passé s’infiltre sans forcer. Doucement, comme plongées dans un révélateur d’images, les consciences s’éclairent. Et le film, d’urbain et universitaire, glisse avec nous tendrement vers les profondeurs de la terre. Le végétal et le magique.
Douce fuite
Avec Suite armoricaine, Pascale Breton compose une merveilleuse fugue romanesque sur deux personnages qui fuient leurs fantômes