Etonnement, lorsque en entretien, Carlos Vermut, auteur d’un deuxième film très maîtrisé, prononce ces mots : « Ce qu’il faut considérer, c’est que je suis encore en train d’apprendre à faire des films. Les décisions artistiques sont dues au peu de moyens que j’ai et au fait qu’il y a des choses que je ne sais pas vraiment faire. Je ne sais presque pas comment utiliser un travelling, parce que je n’en ai pas l’habitude ! Je préfère faire des choses dont je me sais capable. » Ces « choses dont [il se sait] capable », c’est une capacité rare à faire varier la tonalité des scènes, par le seul biais d’un découpage clair et précis, d’un sens du rythme évident. À telle enseigne que même le spectateur le plus attentif serait bien embarrassé pour prédire la suite des événements.

Luis, père célibataire au chômage, apprend que sa fille Alicia, douze ans, est atteinte d’une leucémie incurable. Malgré la douleur, il met un point d’honneur à lui offrir avant sa mort le cadeau dont elle rêve : un costume de fée japonaise hors de prix. Cette première partie de La niña de fuego repose, on l’aura compris, sur une situation de mélodrame, aux enjeux limpides : trouver l’argent, dénicher un emploi, faire un emprunt… Le film se contenterait de cette voie sociale et réaliste qu’il serait déjà très réussi. Le drame sauce Vermut reste contenu, les personnages du père et de la fille partagent, une fois le diagnostic prononcé, une tendre complicité peu encline au pathos.

C’est parce que ce beau rapport filial semblait suffire que l’apparition d’un autre drame déroute immédiatement. Voilà un couple en crise dont la femme, Bárbara, est sujette à de graves troubles du comportement. Serait-ce finalement un film choral, une comédie dramatique polyphonique à la Altman ? Pas sûr, comme nous l’explique le cinéaste : « J’envisage vraiment le cinéma comme un art de surprises. Ce qui m’intéresse, c’est tenir le spectateur en haleine, qu’il ne s’ennuie pas et reste au maximum dans le film. Je veux tout le temps le surprendre. Pour ça, plus que l’information en elle-même que je vais distiller par moments, c’est comment je vais la distiller et où je vais la mettre qui m’intéresse. C’est ça qui va créer la surprise chez le spectateur et pouvoir marquer un tournant dans le film, comme savait si bien le faire Hitchcock. C’est ainsi que je pense mon scénario et mon histoire. »

Car c’est bien à partir du passage de relais entre le drame de Luis et Alicia et celui de Bárbara et son époux – accessoirement psychanalyste – que le film prend toute sa force. On évitera de trop en dévoiler, qu’il suffise de dire que Luis et Bárbara vont se rencontrer dans des circonstances incongrues et qu’à partir de cette rencontre, la fiction évoluera tel un jeu de dominos, en une suite de réactions en chaîne. En invoquant Hitchcock, c’est la question du spectateur que Carlos Vermut repose et réactualise. La façon dont un metteur en scène dirige l’attention de la salle, l’oriente ou la perturbe. Comment garder en mémoire les premières informations données (la maladie d’Alicia, le besoin d’argent de Luis) au moment où sont introduites d’autres informations d’égale valeur, mais que le récit n’annonçait pas (Bárbara et sa névrose, son voisinage avec Luis, son passé sulfureux…) ? La niña de fuego congédie alors le mélo pour tourner au film de genre avec ses circuits narratifs complexes, son suspense. Et son ambivalence foncière. « Je préfère que ce soit le spectateur qui se positionne par rapport à Luis. Certains se diront que dans son cas, ils feraient ce genre de choses, d’autres non. J’aime confronter le spectateur à ce genre de dilemme moral : “J’ai de l’empathie pour un personnage, mais jusqu’à quel point ? Est-ce que je continue à en avoir quand il commence à dériver de cette manière-là ? Et si oui, pourquoi ?” Je préfère vous faire vous poser des questions que donner des réponses. » L’irrésolution est une force.