trésorDe la constellation de cinéastesroumains découverts et adoubés dans les années deux mille (Radu Muntean, Cristi Puiu, Cristian Mungiu, Radu Jude), Corneliu Porumboiu est sans aucun doute aujourd’hui celui qui aura le moins déçu. Après deux opus théoriques d’une belle radicalité (Métabolisme et Match retour), il tourne un film bien plus romanesque tout en réussissant àgarder son ton distancié et narquois. Empêtré dans ses problèmes financiers, Adrian demande à Costi, son voisin, de bien vouloir lui prêter huit cents euros pour louer un  détecteur de métal qui lui permettra de retrouver un trésor que son grand-père disait avoir enterré dans son jardin après la Seconde Guerre mondiale. Les deux hommes s’associent avec un autre et partent en province à la recherche du magot. À la manière de ses maladroits chasseurs de trésor, Porumboiu adore déterrer ce que la société roumaine tente de garder enfoui et secret. La situation a priori la plus banale est susceptible de révéler à l’écran, en longs plans fixes qui tiennent lieu de scènes, ses dysfonctionnements : rapports de force, entre patron et employé, misogynie et corruption policière. Mais au lieu de les tourner en tragédie, Porumboiu en révèle l’absurdité comique. Quoi de plus naturel qu’un voleur aidant des flics à crocheter une serrure ? Chez Porumboiu, le simple fait de montrer des incongruités avec une forme d’objectivité documentaire, en cadrant longuement les personnages en train de parler, conduit à une forme de comique à froid. À force de vouloir rester le plus digne possible, les personnages s’empêtrent dans des explications absurdes et des quiproquos. Forcé d’avouer une faute à son employeur, Costi en invente un autre, plus satisfaisante aux oreilles de son patron qui s’imagine lui-même des histoires à dormir debout. Porumboiu pratique l’art des dialogues laconiques, rythmés par de longs silences. Moments de gêne au cours desquels ses personnages s’embourbent et racontent n’importe quoi. On sait au moins depuis Tati qu’une distance clinique donne à voir la drôlerie du monde. Évidemment, au-delà de la comédie, il y a une parabole cachée dans cette chasse : à mesure que les personnages creusent un trou béant dans la terre sont ramenés à la surface les secrets enfouis de l’histoire roumaine constituée de spoliations ininterrompues depuis le xixe siècle par les nobles, les Allemands puis les communistes. Mais cette parabole en appelle une autre, plus étonnante. Au cours de son épilogue, Costi transforme un trésor en une histoire à raconter à son fils. Le film naturaliste s’est peu à peu transformé en film d’aventures, en polar puis en conte. Porumboiu cache bien son jeu : il n’est pas un naturaliste désabusé, mais un enchanteur. Avec son Trésor, son meilleur film, il puise dans sa terre roumaine une richesse comique et romanesque insoupçonnée pour inventer le futur de son pays.