alice et le maireDans le cinéma intentionnellement politique, il existe deux grands écueils : le film à thèse manichéen et la satire flirtant avec le “tous ridicules” voire le “tous pourris”. L’intelligence de Nicolas Pariser, avec l’excellent et subtil Alice et le maire, consiste à avoir adroitement évité ces deux pièges en regardant la politique en face, sérieusement, au premier degré, sans ricanements poujadistes mais sans non plus se voiler la face quant au désenchantement actuel. Le film met aux prises le maire socialiste (et fictif) de Lyon, Paul Théraneau, et une étudiante qu’il a fait engager pour qu’elle l’alimente en idées, Alice Heiman. Car le plus haut magistrat est au bout du rouleau, usé, bouffé par un agenda démentiel qui ne lui laisse pas une minute pour réfléchir. À travers le regard d’Alice, bienveillant mais sans angélisme, Pariser nous montre un élu politique non corrompu et dénué de machiavélisme, un maire qui fait ce qu’il peut, et, nouveauté, qui semble aussi désemparé que les citoyens qu’il est censé servir. Le film brosse le portrait fin d’un cabinet vu comme une fourmilière hyperactive où chacun fonce d’un rendez-vous à une réunion sans plus trop savoir quel est le sens de sa mission : c’est à la fois assez drôle et plutôt inquiétant de savoir que l’on est gouverné ainsi, par des bandes agitées de canards sans tête.

Cette mélancomédie politique va sans doute définitivement installer son auteur dans le cinépaysage français. Originaire de Chartres, Nicolas Pariser a été marqué par deux évènements en 92, l’année de son Bac : la vision des entretiens télévisés de Serge Daney avec Régis Debray, puis le dictionnaire de Jacques Lourcelles (dont Daney disait qu’il était brillant mais n’avait rien compris au cinéma moderne), alpha et oméga de la cinéphilie de Pariser : “Daney a été important pour ma vision générale du cinéma, mais Lourcelles a été mon conseiller film par film. Lourcelles n’aimait certes pas le cinéma moderne, mais sur le cinéma classique, il était très fort”. Pariser s’engage ensuite dans des études de droit puis de cinéma en dilettante, tout en restant très cinéphile. Avec son ami Franck Annese, il crée la revue Sofa (ancêtre de So Presse), en devient rédacteur en chef cinéma, mais il avoue avec humilité et peut-être un excès de modestie :j’écrivais très mal, je n’étais pas un très bon critique. J’ai raté les quatre meilleurs films américains des années 2000 !”. Par le hasard des rencontres, il devient l’assistant de Pierre Rissient pendant quatre années, ce qui lui permet d’avoir un regard complet sur le métier. “Puis un été, je suis tombé par hasard à la télé sur A La maison blanche. Pendant trois mois, j’ai été obsédé par cette série et j’ai écrit le scénario de mon court-métrage La République. Rissient me donnait son avis, c’était rassurant. Mes courts-métrages ont tous été achetés par la télé, ce qui fait que vers 2009 je pouvais en vivre”. C’est donc très naturellement et progressivement que Pariser est passé de la théorie à la pratique, de l’écrit à la réalisation.

Romanesque et politique

Le Jour ou Ségolène a gagné, La République, Le Grand jeu, Alice et le maire… Il suffit d’énoncer les titres des films de Pariser (courts et longs) pour saisir la constante politique de son oeuvre. Lui-même ne sait pas exactement d’où lui vient cet intérêt, si ce n’est d’une maïeutique d’éléments disparates : “je suivais la politique depuis mon enfance, je connaissais les noms des ministres… Ensuite, ado, par les Inrocks, j’ai découvert Debord, auteur très important dans mon parcours. Debord semble très théorique, mais offre aussi un sous-texte très romanesque, balzacien, qui m’a attiré. Ce croisement entre romanesque et politique m’intéressait, d’autant que j’adorais au cinéma les fictions paranoïaques des années soixante-dix du type La Conversation de Coppola. Par ailleurs, le film qui m’a donné envie de faire des films est Triple agent. J’étais ultra-rohmérien, et quand j’ai découvert Triple agent, où Rohmer ramène la fiction paranoïaque à l’américaine dans son monde à lui, je me suis dit qu’être Français n’empêchait pas de réaliser un film de ce genre. En 2012, j’avais lu Sous Les Yeux de l’Occident de Conrad, ancêtre des romans de John Le Carré, puis il y avait l’affaire Tarnac : je me suis senti prêt et j’ai fait Le Grand jeu“. Le Grand jeu explorait l’arrière-monde inquiétant de la politique, celui des officines et des barbouzes, tout en dressant le constat d’échec des utopies alternatives. A contrario, Alice et le maire regarde la politique de manière plus transparente, sinon lumineuse. Voilà un vrai film républicain, démocrate, rooseveltien, citoyen, en ce sens qu’il traite de la politique avec sérieux, à équidistance de la bienveillance et de la critique, du désenchantement et de l’espérance. Ses comédiennes, remarquables, l’ont bien senti, à commencer par Anaïs Demoustier : “le film n’est pas manichéen, il ne donne aucune leçon, il regarde, constate et donne à voir la machine politique. Mais ce regard sur la politique au quotidien parle aussi en filigranes du travail dans d’autres milieux. J’adore comment il montre la ruche chaotique qu’est une mairie, et je m’y retrouve, je ressens exactement ça dans mon métier. Le film parle de l’opposition entre l’action et la pensée et on s’aperçoit que les gens qui sont supposés penser pour nous sont en fait mangés par l’action”. Incarnant la plume du maire de façon drolatique, Nora Hamzawi confirme ce sentiment : “Le film confirme les doutes qu’on peut avoir quand on entend un discours politique, la difficulté à y croire. Il montre que la politique, ce sont des êtres humains qui évoluent dans une machine puissante et un peu effrayante. C’est un film qui met des mots sur les maux de la société. Il montre l’envers du décor et notamment le fait que les hommes politiques sont parfois découragés, ce qu’on voit rarement publiquement”.
 
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De Nicolas Pariser, avec Fabrice Luchini, Anais Demoustier, Nora Hamzawi, Bac Films