louvre lens

 Coup de foudre pour l’expo sur l’amour du Louvre-Lens.

 

Il y a quelques siècles, dans ce joyau de la subversion qu’est le Francion, Charles Sorel rêvait une utopie érotique, collective, où les corps indifférenciés, au gré d’étreintes de hasard, rendaient caduques toutes les questions de filiation, de famille, de noms… Un joyeux foutoir, au sens le plus propre de ce mot un peu sale. Mais cette allégresse-là, nous montre l’émoustillante expo consacrée à l’amour au Louvre-Lens, n’est pas acquise. L’amour et le sexe heureux ne vont pas de soi, et c’est précisément cette histoire-là qui est déroulée, avec des oeuvres qui sont comme autant de chapitres délectables dans un conte libertin. Une histoire qui « commence mal », selon la formule de Zeev Gourarier, co-commissaire de l’exposition, mais qui peu à peu, et non sans remous, suit une trajectoire de rédemption : la femme – parée de tous les vices à l’origine – et le sentiment – pas très bien cour lui non plus – gagnant leur légitimité.

Sigisbées de cette expo, aux côtés de Zeev Gourarier : la philosophe Barbara Cassin, qui nous rappelle le mythe platonicien d’Eros, et l’autre commissaire, Dominique de Font-Réaulx. Si les troubadours connaissaient les cours d’amour, l’histoire commence comme dans une cour bien plus austère, celle d’un tribunal. Qui instruirait, à charge bien plus qu’à décharge, le procès de la femme. Pièces à conviction et prévenues : la boîte de Pandore, la curiosité délétère d’Eve, (magnifique tableau de Giuseppe della Porta Salviati, un Adam et Eve de la première moitié du XVIe siècle), Dalila… La cause est entendue, la femme, souligne Zeev Gourarier, est un agent perturbateur, susceptible de détraquer le bel ordre patriarcal. La sanction ne se fait pas attendre, condensée avec autant de brutalité que de maestria dans un bronze de Jean-Jules Cambos, La Femme adultère (1869), cette suppliante lapidée.

Mais d’autres voix se font entendre. L’une est, paradoxalement, divine : les représentations de l’extase mystique et leurs corps tordus sous la pâmoison donnent à l’érotisme et à la jouissance féminine un sens qui ne peut se réduire au simple bouillonnement biologique du sang et au dérèglement social qui s’ensuit. L’autre voix a des accents lointains, orientaux, telle l’histoire de Layla et Majnoun, au XIIe siècle, dont une très belle page manuscrite rappelle quelle force lyrique, irrésistible, peut revêtir la passion. Un air d’Orient, poétique, exalté, qui s’insuffle dans la littérature courtoise occidentale. Rien d’étonnant, alors, si le coeur (battant, forcément) de l’expo est la notion classique de galanterie. Le sentiment n’est plus la griffe du démon dans un gant de velours, mais un état d’âme que l’on cultive, dont on explore avec gourmandise les manifestations, la rhétorique, les protocoles, témoin cette Visite reçue de 1789, une huile sur toile de Louis-Léopold Boilly, petit roman visuel autour d’un billet doux. Et n’en déplaise aux grincheux et aux procureurs du libertinage, qui ne voient que jeux de princes et sujétion féminine dans les polissonneries charnues de la peinture du XVIIIe, une toile comme L’Odalisque de Boucher ne peint pas seulement la chair passive de la femme : elle nous regarde, elle n’est pas passive, elle est maîtresse du jeu érotique du regard. Et certes, la période contemporaine, via par exemple Niki de Saint Phalle, ne cède pas sans examen, ni critique souvent aiguisée, à l’émotion amoureuse. Mais il n’empêche : dans l’ordre du sentiment, et dans l’image de la femme, on a assisté à un véritable déplacement. Un transport, dirait-on dans le langage amoureux.

Exposition Amour, Louvre-Lens, jusqu’au 21 janvier