Le cinéma de Pablo Larrain aspire de plus en plus au flou. Flou du récit, pour commencer. Celui d’El club est pour ainsi dire un peu abscons, au regard par exemple d’un Tony Manero (2008) qui tendait à la ligne claire béhavioriste. Flou de l’image tout autant. Le cinéaste, dont le précédent No (2012) adoptait le visuel délavé de la télévision chilienne eighties, mise ici sur la sous-exposition. Dès les premiers plans, quelque chose résiste donc à notre lecture de la situation. Tout juste saisit-on que les quatre prêtres et la nonne qui cohabitent, habillés en civils, dans cette maison proche de la côte, sont amateurs de courses de lévriers et unis par un lourd passé.

C’est précisément l’introduction d’un nouveau prêtre qui révèle que cette communauté sans histoire est finalement infréquentable. Lorsque mère Monica (Antonia Zegers, habituée des films de Larraín comme le toujours superbe Alfredo Castro, qui joue l’un des prêtres) lui énumère leurs règles de vie très strictes, le nouvel entrant émet une objection. Àses yeux, il n’a absolument rien à voiravec « ces personnes ». Pourquoi unhomme ayant fait serment d’amour etde pardon tient-il à se distinguer de ses« frères » ? Cette seule interrogationsuffit à donner matière à une intrigue.

L’arrivée d’un autre prêtre, suiteau suicide de son prédécesseur,creuse le mystère. Le père Garcia(Marcelo Alonso) est en effet envoyépar l’Église chilienne pour s’entretenirseul à seul avec chacun des prêtres. L’objectif de ce confesseur, comme des nombreux champs-contrechamps encadrant les face-à-face, est de laisser le refoulé s’exprimer. Qui est pédophile ou meurtrier ? La parole est donnée aux pécheurs et potentiels criminels recouverts par ces masques de vieillards respectables. Cette seule piste, semi-policière, suffit à elle seule à faire d’El club un beau film, sorte de polar dont l’élucidation tiendrait à la simple révélation par les « hommes de bien » de moeurs inavouables.

Mais un troisième intrus, errant basané répondant au nom détonnant de Sandokan (Roberto Farias), rôde tout au long du film autour de la maison, criant à qui veut l’entendre que les prêtres sont aussi des violeurs d’enfants. La présence de Sandokan redouble l’effet de flou : sa parole est très explicite, mais confuse. Cette façon de témoigner à ciel ouvert de son expérience d’enfant abusé par l’Église en fait le personnage le plus intrigant du film (malgré son statut de victime, il est le moins « fréquentable » en apparence). Comme si aux points de suspension que laissent planer les paroles des prêtres, il fallait rajouter la véhémence de celles de Sandokan. Lorsqu’il est question du Mal, la langue est abîmée, vociférante, déficiente. Comme s’il était impossible de le saisir, qu’il nous échappait toujours. La force du cinéma de Pablo Larraín n’est jamais aussi évidente que lorsqu’il s’en tient à une direction : les actes d’un serial killer, les stratégies de séduction des masses par des publicitaires. La première direction d’El club, le huis clos minimaliste, est sans conteste la bonne.