honoreChristophe Honoré adapte la comtesse de Ségur. Rencontre avec le réalisateur des Malheurs de Sophie, qui prouve qu’on peut faire un grand film avec des acteurs hauts comme trois pommes.

Les Malheurs de Sophie, ou le bonheur d’un cinéaste. Caméléon du cinéma hexagonal, à la tête d’une filmo qui compte une adaptation rohmero-bressonienne de Mme de Lafayette (La Belle Personne ), nourri de Demy (Les Chansons d’amour ) ou de sensualité à l’antique (Les Métamorphoses d’après Ovide) ; homme de plume (il écrit pour la jeunesse, pour les adultes) et de planches (une mise en scène d’Hugo) ; n’hésitant pas à se confronter à l’opéra et à Mozart – il prépare lorsqu’on le rencontre un Così fan tutte . N’en jetez plus, Christophe Honoré est comme ces enfants endossant une panoplie de rôles. Et Les Malheurs de Sophie , qui fond le roman du même titre de la comtesse de Ségur aux Petites Filles modèles , témoigne de son goût du jeu.

Une première part ie, lumineuse et printanière, voit Sophie (Caroline Grant, aussi bonne en diablotin d’espièglerie qu’en Cosette dickensienne), au centre d’une petite constellation de mômes, accumuler les catastrophes : vol d’un nécessaire à couture en or, poissons rouges immolés pour la dînette de sa poupée… Les jeux sont cruels, mais nimbés d’innocence, de grâce, et se déroulent sous le regard à la fois épuisé et aimant de sa mère (Golshifteh Farahani, parfaite en aristocrate consumée par la tristesse de devoir bientôt quitter son château pour les promesses de l’Amérique). Et puis au centre du film, un trou noir : la disparition de la mère lors du voyage en Amérique. Disparition sur laquelle embraye la seconde partie, hivernale, glacée psychologiquement. Sophie est de retour du Nouveau Monde, mais elle est devenue le souffre-douleur de sa belle-mère, Mme Fichini (Muriel Robin, plus vraie que nature en Cruella grotesque et adepte de la pédagogie du fouet). Jeux de pouvoir et de domination : Mme Fichini va-t-elle briser Sophie ? Jeux sociaux : on se reçoit les uns les autres, du château des petites filles modèles, les amies de Sophie qui respirent le bonheur et la santé, à celui de Mme Fichini et sa petite martyre.

Christophe Honoré prend un évident plaisir à tourner un film en costumes. À multiplier les ambiances d’intérieur chaudes comme des scènes de genre picturales, ourlées par la musique de son complice Alex Beaupain. À insérer des créatures animées, écureuils ou hérissons, tout droit sortis d’un Disney. À émailler son film de fantaisies visuelles : voici un lion de pierre qui rugit après que Sophie lui a concocté des yeux avec les deux moitiés d’un fruit coupé, voilà des enfants qui se constituent en un gai cortège pour improviser une cérémonie funèbre pour une poupée. Le cinéaste a l’inventivité des enfants en plein jeu. Et comme chacun sait, il n’y a rien de plus sérieux que le jeu. La preuve au cours de cette heure et demie où, au fond d’un café parisien, au Floréal, quartier Goncourt, Christophe Honoré, aussi précis que souriant dans son gros pull d’hiver, nous parle de son film.

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