petites histoires

La sculptrice Cécile Raynal a posé ses outils dans les réserves du musée des Arts et Métiers. Et saisi dans ces sculptures un peu des vies de ceux qui y travaillent.

Les Petites histoires en réserve, conçues par Cécile Raynal lors de sa résidence dans les réserves du musée des Arts et Métiers, racontent une grande histoire. Un rêve, une ambition, qui furent ceux des surréalistes qui aspiraient, comme Breton, à fondre le subjectif et l’objectif, mais avant eux aussi de tous les artistes pétrisseurs fils de Prométhée : donner vie humaine à la matière. Insuffler une âme, esprit ou vie, comme on voudra, à l’inanimé. Et Cécile Raynal, dont les sculptures ont cette consistance à la Giacometti, comme une matière encore un peu magmatique, pas encore solidifiée, « vivante » si on veut, atteint ce point presque idéal de fusion. D’un côté, les sculptures stricto sensu, réalisées en faisant poser les personnels des réserves, puis placées, installées comme sur des micro-scènes de théâtre, sur les caisses où sont entreposés les objets. Et les traversant, ces installations, des mots, des histoires. Celles que Rémi, Manon et les autres racontent à Cécile Raynal dans son atelier des réserves. Des histoires de vies – souvenirs, rêveries… Des histoires qui sont à la fois les points de départs des sculptures, les bandes-son des moments de poses, et aussi les légendes (à tous les sens du termes) d’objets choisis par les modèles pour ce qu’ils suscitaient chez eux de vibrations intimes. Des récits repliés, comme déposées dans les sculptures, qui s’adressent dorénavant au visiteur. A lui, désormais, de les faire revivre. En attendant, c’est Cécile Raynal elle-même qui nous raconte un peu de cette histoire. Sans réserve aucune ! 

Vous avez travaillé en milieu hospitalier, entre autres. Les réserves du musée des Arts et Métiers, c’était une façon de retrouver un espace clos ?

C’était la possibilité de rencontrer des gens qui travaillaient à l’abri des regards, des personnes qui exerçaient leur métier en toute autonomie. C’était en quelque sorte une façon de sortir de la marge. Dans un espace réservé, c’est le cas de le dire, mais avec des personnes pour qui c’était un choix. Dont le travail les mettait en suspension.

« Quel objet as-tu en réserve dans ton esprit qui contiendrait une trace de mémoire, une parcelle d’identité poétiques ou imaginaires ? » Telle est la question que vous posez à vos modèles. Et qui suppose une ouverture à la fiction…

Mon travail est principalement fictionnel. Il est ancré dans la rencontre, dans les récits… Je le conçois comme un pas de côté, dans la mesure où il croise des récits, des mythes, des contes. Un peu comme des strates, des associations, plus ou moins maîtrisées. Par exemple le prénom Aurore me ramène à la Belle au bois dormant.

Ce noyau mythique, dans certaines de vos pièces, prend la forme de la métamorphose. En tant que sculptrice, qui êtes familières des transformations de la matière, quelle importance attachez-vous à cette idée de métamorphose ?

Je vis la transformation au quotidien. Mon propre corps, celui des êtres que je croise, tout est toujours en train de se transformer. Je suis aussi très frappée par les représentations archaïques, par les anciennes façons de représenter les dieux, qui sont du côté d’une humanité qui ne serait pas coupée de l’animalité. Les mythologies africaine, russe, les fables de La Fontaine, bien plus profondes que ce qu’on en entrevoit lorsqu’on nous en parle dans le cadre scolaire : ce sont des modes de représentation du monde qui irriguent notre humanité. Mais, en parallèle, on se sépare de cette vision de l’humanité on est clivé. Ma position n’est pas militante, mais la sculpture peut justement mettre ça en forme. Mon travail sur l’animalité a commencé sur un porte-container. J’ai été frappée, sur ce cargo, par la façon dont les hommes étaient perclus de superstitions – vraiment perclus – et ces superstitions avaient trait à l’animal. Je pense au lapin, en particulier… 

Un de vos modèles a pu écrire qu’elle ne reconnaissait pas son visage. Certains ont-ils le sentiment que vous leur volez quelque chose ?

Il y a chez les Indiens d’Amérique du Nord cette idée qu’on ne doit pas prendre de photos. Un photographe est un prédateur. Mais ce n’est pas le cas du sculpteur, tout ce qu’il fait apparaît au grand jour, au vu et au su de tous, et pas derrière un appareil photo. Mais que quelque chose apparaisse à l’insu de celui qui pose, ou à mon insu, là, oui, en revanche. Moi j’espère qu’il y a une présence lorsque je fais une sculpture, de la vie qui pousse derrière la forme. Et après, avec l’installation, lorsque la sculpture est placée dans un autre contexte, quelque chose s’échappe. Pas un vol, mais une échappée, une dérive. Un peu comme quand Richard Avedon photographiant Catherine Deneuve en pute de luxe : c’est un glissement dans la fiction.

Autre « échappée » : vers la peinture, ou en tout cas la couleur. Ici et là il y a des touches de pigments sur vos sculptures…

Les pigments sont arrivés comme des éclats de lumière. J’ai un travail noir, qui absorbe la matière. Et la couleur est arrivée un peu comme on ouvre une fenêtre. Peu à peu je me suis mise à la travailler avec les mêmes outils que l’argile. La couleur vient à la fois éclairer et donner une touche plus gaie. Mon travail est très très austère, et pour contrebalancer la profondeur et la puissance du noir, il faut utiliser des touches très vives. Et une autre chose m’est apparue en travaillant : la simple apposition, ou imposition, de zones colorées, détourne le sens, apporte de la poésie et de la dramatisation.