Il vient au vestiaire chercher son manteau, à la fin d’une soirée de la rentrée littéraire ce lundi 14 septembre au 15 de la rue des Petits-Champs, au Macéo. Toujours de cet air tranquille et insolent, habillé d’un costume de bonne coupe (sur mesure) et d’une cravate soigneusement nouée. Il me croise et me dit : je suis sur la liste du Médicis, on vient de m’envoyer un SMS. Félicitations, Charles, lui réponds-je. Je n’aurais pas dû le dire à ma table, Carole Martinez est à mes côtés et elle n’y est pas.

Charles Dantzig veut un prix, son excitation est perceptible. De ne pas être sur la première liste du Goncourt lui a foutu un coup (aucun Grasset, quand même !). Être sur celle du Renaudot l’a détendu. Sur celle du Médicis l’a mis en joie. Sa confiance immodérée en lui-même doit lui faire penser qu’il a toutes ses chances. Son ambition est justifiée : son roman, Histoire de l’amour et de la haine, est son meilleur. Son plus intime, son plus honnête. Jusqu’à présent, Dantzig avançait tel Descartes, masqué. Trop masqué. À cause d’une pudeur certainement, une éducation. La pudeur est une belle qualité dans la vie, moins en art. Le roman est le fruit de quelque chose qu’il a senti monter dans la société française, ce quelque chose est la réaction. Dès 2012, je me souviens d’une discussion que nous avions eue sur un milieu intellectuel français devenant rance. Richard Millet comptait les Noirs sur le quai du métro des Halles (il était à l’époque au comité éditorial des éditions Gallimard dont il fut évincé quelque temps après), et Renaud Camus, invité régulier de l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut, comptait les juifs qui travaillaient à France Culture (avant d’appeler plus tard à voter Front national). Ce qui a amené Transfuge à faire un dossier sur la littérature rétrograde, et Charles Dantzig à écrire un article retentissant dans Le Monde sur la montée du populisme dans notre cher et beau pays. Dantzig écrivait sur les fleurs et les papillons. Il commençait à devenir politique. Un an après, en 2013, dans le même sens, et c’est le sujet de son livre, le mariage gay enflammait le pays, et révélait une France que nous pensions éteinte, celle des religieux radicaux, un spectre allant essentiellement des catholiques en Barbour aux barbus musulmans. Ce que raconte Dantzig dans ce livre est sidérant, je ne me souvenais déjà plus d’une telle violence adressée aux gays. Sagace, il émet l’hypothèse puissante que 2013 ouvre sur 2015, sans rapport de cause à effet. La haine s’est installée dans Paris, réputé libéral sur le plan des moeurs, pour ne plus quitter les lieux, et aboutit aux attentats quasi mensuels d’islamistes radicaux de l’année 2015.

Il continue dans cette forme si inédite, les chapitres sont des thèmes dans lesquels les histoires des sept personnages se moulent. Son esprit minutieux y est toujours remarquable, son stendhalisme toujours aussi flagrant, le trottoir roulant dont parle Proust à propos des livres de Flaubert toujours perçu comme un repoussoir.

De la nouveauté cependant chez Dantzig, et qui est double : son passage sur l’échiquier politique clairement à gauche, sur le plan des moeurs ; il fallait le voir à Nancy, lors du festival du Livre sur la place, appeler à faire sa conférence non dans la salle qui était réservée à cette fin, mais dans le hall d’entrée encombré de gens, « comme en 68 », dans le chaos. Et un goût de la provocation, qui existe chez lui depuis longtemps mais qui manquait à ses livres. Le début de son livre s’ouvre sur un exercice de masturbation, qui a bien dû faire rire son auteur en l’écrivant. « La première forme d’imagination, c’est la masturbation », écrit-il.

Je lui souhaite un prix, ça lui ferait tellement plaisir. La partie est loin d’être gagnée, il a des ennemis. Son allure chic et sûr de lui-même ne plaît pas à tout le monde. Tant mieux, avoir mauvaise réputation est bon signe pour un écrivain, nous disait Sollers. J’aime bien les gens qui ont mauvaise réputation.