gaga
Assis, Ohad Naharin observe les corps. Voix de stentor, il demande à l’une de ses danseuses de bien vouloir tomber sans se freiner. Il se met derrière elle. Sécurisée, elle tombe dans ses bras. Soudain, il les écarte, elle chute sur le sol. Naharin la regarde et lui demande : « Ça y est, tu as compris ? » Célèbre chorégraphe israélien, adulé dans le monde entier, d’aujourd’hui soixante-trois ans, Naharin est danseur depuis toujours. C’est ce que montre ce documentaire en alternant images d’archives personnelles et numéros de danse chorégraphiés tout au long d’une carrière remontant à la fin des années soixante-dix. Un corps est pris de convulsions. Tel un épileptique, il s’agite sur le sol. Soudain, on voit Naharin, béat, dans son bain. Jeune homme, il vient d’arriver à New York. Il n’a pas vingt ans. Il a le monde devant lui et il chante, nu, avec sa guitare. Né et élevé dans un kibboutz, Naharin explique avoir dansé pour un frère jumeau imaginaire et autiste. Pure invention, mais qui dit l’impossibilité pour cet immense créateur de mouvements d’expliquer ce qui s’est immédiatement produit dans son rapport si singulier à son corps. À l’armée, il met en scène des spectacles musicaux pour égayer les troupes au moment où éclate la guerre de Kippour. Parti à New York, il intègre plusieurs compagnies, dont,le ballet de Béjart, mais ne connaît rien à l’art académique. Son corps en souffre. Naharin les quitte, à moitié fou. Mr Gaga documente l’histoire d’un corps qui a passé son existence à chercher son propre mouvement, hors des normes, des mimétismes, des carcans. Après des années à danser pour diverses compagnies, à faire scandale aussi, Naharin tombe. Son corps n’en peut plus. Sa jambe ne lui répond plus. À l’hôpital, il reprend l’entraînement. Dans les contraintes nouvelles imposées par son corps, il découvre le « gaga », une technique qui permettrait à chacun de pouvoir inventer ses propres figures. Cela devient son combat. La beauté du documentaire est de ne présenter que peu d’interviews, même si Natalie Portman (entre autres) explique l’importance qu’a eu le « gaga » pour elle. Seuls les corps comptent. Des corps qui tombent, gigotent, se relâchent. Par le truchement d’archives privées et de chorégraphies, Naharin raconte son histoire qui devient celle de son combat pour son pays. C’est en dansant qu’il défie le gouvernement en 1998. On jugeait les tenues de ses danseurs peu orthodoxes. Lors du jubilé de l’État hébreu, devant les dignitaires du monde entier, pour le soutenir, sa compagnie refusa de danser. Aujourd’hui, Naharin continue de mettre en scène des corps qui expriment la colère du chorégraphe face au gouvernement de Netanyahou et sa ministre de la Culture, Miri Regev. Mr Gaga vaut mieux qu’un simple documentaire sur un homme d’exception. Par le prisme de l’intime et de l’exhibition, c’est d’abord un film sur la manière dont un artiste cherche à demeurer libre, hors des institutions. Même si immensément loué et admiré, ce corps-là n’appartient à personne.