mon roiMON ROI de Maïwenn avec Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot, Louis Garrel

 

Autant le dire d’emblée, le coeur n’y était pas ce matin. Après une très courte nuit, la perspective d’aller voir aux aurores un film de Maïwenn n’était pas particulièrement alléchante. D’ailleurs certains monarques de Transfuge ne prirent pas la peine de se lever de si bon matin, laissant ce plaisir au tiers état. Il faut dire que rejaillissait, depuis l’annonce de la sélection de Mon Roi en Compétition, le souvenir douloureux de Polisse, sorte de Pialat pour les Nuls surexcités. Du naturalisme aseptisé, systématique dans ses parti pris et transformé en Qualité Française un brin donneuse de leçon et de mode de vie. Donc, d’une certaine façon, contre toute attente, Mon Roi frôle presque la bonne surprise. Presque, j’insiste, parce qu’entendez le tout de suite, Mon Roi n’est pas une réussite. On retrouve l’hystérie générale dans chacune des scènes. On retrouve cette façon de faire jouer chaque comédien sur le même mode de partition, séparant ainsi l’humanité en deux clans : ceux qui ont tout compris à la vie et qui jouent un peu comme Maïwenn (dans l’exubérance, la surenchère énergétique, le rire étalé façon Cassavettes mal digéré) et l’autre, les cons, en somme, qui n’ont rien compris et qui sont plus sobres, plus intériorisés, moins marrants quoi ! Entre deux leçons de vie, le film s’étire et se répète, interminablement, les scènes se ressemblant beaucoup et rendent l’ensemble plutôt monotone. Mais. Il y a un mais.

 

Il y un joyau à deux faces qui illuminent Mon Roi, le rendant un peu plus rond, un peu plus fascinant, un peu plus passionnant même. Ce joyau, c’est Vincent Cassel. Ces faces : c’est l’acteur et ce qu’il fait, grâce à sa réalisatrice, de son personnage. Tout au long du film, Cassel habite son personnage de pervers narcissique flamboyant, de roi tyrannique et amoureux, de grand gamin héroïque et détestable, infect et flamboyant à la fois. Cassel tournoie, louvoie, hurle, se renfrogne avec une force persuasive constante, jouant sur les ruptures de ton mais sans jamais non plus faire le show. Comme son personnage, il est au centre de tous les plans, il préside les tablées, monopolise les regards mais sans que la prestation se transforme en long stand up.

 

Il y a même quelque chose d’assez faux dans la manière de placer sa voix pour se faire entendre, remarquer par les autres. Mais cette légère fausseté semble mesurée à point nommé : elle creuse aussi ce personnage, le rendant machiavélique et innocent à la fois, troublant et dépassé par sa propre nature. A travers lui, on se rend compte que Maïwenn connaît parfaitement le personnage qu’elle met à l’écran. Pour une fois, la monstration du pervers n’est pas univoque. Au contraire. Si communément, le pervers est un roublard décidé à détruire l’autre, dans Mon Roi, il en est bien autrement. Témoin cette scène où sa femme (Emmanuelle Bercot, très en deça par rapport à son partenaire) lui annonce une bonne nouvelle professionnelle. Cassel ne peut sourire, ne peut s’émouvoir pour son épouse qu’il explique aimer. Témoin cette transition où sa femme voit débouler chez eux les huissiers et, où l’on pourrait croire, selon la dramaturgie traditionnelle, que le film va virer au thriller. Dans tous les autres films, les personnages comme celui de ce Roi fainéant seraient des psychopathes. Pas chez Maïwenn. Elle parvient avec son comédien à inventer une autre figure : celle du pervers dépassé par sa propre nature, qui ignore souvent le mal qu’il fait et qui n’en a pas conscience. D’ailleurs, il s’explique, explique son rapport au monde, explique vouloir par ses caprices, re sublimer sans cesse le désir dans le couple, sauver l’union amoureuse de la mort annoncée, redonner du coup de fouet à la passion, sauver le désir hors des ornière. Si bien que ce personnage est un héros, un héros qui n’a pas sa place dans notre monde. Un héros avec qui il est impossible de vivre mais qui sait rendre chaque moment décisif et important. Un héros avec qui l’ennui ne survient jamais.

 

On se rend donc compte que la cinéaste a un regard, un point de vue assez peu manichéen sur la question. Et à la fin, on est heureux de la voir filmer du point de vue de son héroïne bafouée, le menton de son homme, la rotondité de son visage. Au fond, cette histoire d’amour est d’abord celle d’une fascination magique pour un corps et le charisme mystérieux qui s’en dégage. Charisme d’un grand comédien que ce film agaçant parvient toutefois à nous montrer.