Mia madre, Nanni Moretti, en compétition
Le Nanni nouveau est du nanan. le genre de film qui n’éclot sans doute qu’une fois dans la vie d’un réalisateur, celui où toutes facettes d’une oeuvre s’ajointent miraculeusement, et forment un cristal qui a la simplicité translucide de l’évidence, la sructure minitieusement polie d’un travail de joaillier – et la beauté irréfutable d’un prisme qui réfracte aussi bien la mélancolie la plus tenaillante que l’hilarité d’un cinéma-bouffe à l’italienne. Moretti le funambule échappe à tous les chausse-trapes du « film sur le film en train de se faire » (marque déposée chez messieurs Truffaut & co) alors mˆeme qu’il suit les aléas du tournage d’une réalisatrice , Margherita, qui doit non seulement composer avec le cabotinage de paillasse et l’irrésistible manie affabulatrice d’un acteur américain (John Turturro, magistral de vis comica), mais aussi avec le lent et inexorable épuisement mental et physique de sa mère. Moretti tresse donc le comique et le tragique, ce qui en soi n’aurait rien de particulièrement remarquable, et ne justifierait pas la pˆamoison. Mais il se trouve qu’il ne s’agit pas de n’importe quel comique, ni du premier tragique venu, mais de leurs versions morettiennes. Du cˆoté du rire, c’est le cocktail des premiers Moretti, le mélange détonant du gauchisme complexé de ses personnages d’intellectuels, avec formules creuses et théories toc, et de l’outrance du bateleur à l’atavisme de Commedia dell’Arte. Du cˆoté des larmes, c’est le Moretti mélo, celui des liens qui se distendent ou menacent de céder: familiaux, amoureux, et mˆeme, et surtout, ce fil de soie qui nous rattache à la vie. Tout cela se noue sur fond d’une crise esthétique et créatrice, celle que traverse le personnage de la réalisatrice: une crise de la représentation. Comment rendre le « réel », où passent les frontières du factice et de l’authentique? Question politique, mˆeme si elle se pose avec des accents drolatiques grˆace à l’abattage de John Turturro, puisque le film de Margherita est la chronique d’un épisode de lutte des classes, avec usine, patron et ouvriers: comment incarner et faire incarner tout ce monde au plus juste? Question politique, donc, mais dont la réponse est à chercher dans l’intime: seule la mort de sa mère, l’émotion brute, sans apprˆets du mélo, permettra à la réalisatrice de tourner une bonne scène. Morale du morettisme: pour l’artiste, la cité est une affaire privée.