beliersBéliers, Grimur Hakonarson, Un certain regard

 

Animal on est mal, on se fredonnait ça à la sortie de Béliers, ce matin, un film sur lequel, l’heure de la rédaction au débotté de ce billet aidant, on ne vous infligera pas le troupeau de calembours qu’on avait rêveusement conçus. Non, on se contentera sobrement de dire que le film est à l’image de ses héros laineux: terriblement attachant, quelque peu intrigant, mais un peu trop rivé à son petit pré verdoyant, et peinant parfois à ruer dans la clôture pour aller vers d’autres pâtures. Des réticences qui n’entament en rien le plaisir pris au film, qui, contrairement à son animal-titre et totem déroule sans brusquerie la chronique d’une crise écologico-économique dans une vallée enclavée de l’Islande – splendide toile de fond, minérale ou neigeuse, comme une page grisâtre ou blanche. Crise, donc: nos amis ovins sont touchés par la tremblante. Abattage et désespoir, micro-catastrophe, ou plutôt macro-catastrophe dans un micro-territoire. Et intelligence du réalisateur, jusqu’ici inconnu de nos services, qui anatomise moins les tenants et les aboutissants de l’événement qu’il ne se demande comment le raconter. Et ne se borne pas à une voie exclusive, mais essaie plusieurs pistes qu’il fraye simultanément, et entrelace. A commencer par la farce paysanne, truculente, avec vendetta fraternelle sous cocotte-minute entre deux robustes et érémitiques éleveurs, plus ours que béliers. Mais aussi le filigrane du sacré, l’épidémie de tremblante s’inscrivant dans une logique de faute (un frère en trahit un autre) et d’expation sacrificielle (petits coeurs sensibles, avertissement: nulle violence “graphique”, mais quand même une hécatombe de moutons). Ou encore l’esquisse de l’épopée, les petits (la vallée, chacun des frères) partant en guerre contre les grands (les décisions officielles, les flics), levant ainsi l’étendard d’une résistance populaire. Mine de rien, avec son rythme pastoral faussement placide, ses bulles de surréalisme nordique (mention spéciale à la livraison d’un corps congelé aux Urgences par tractopelle), Béliers rappelle qu’un “événement” (au sens journalistique) se décline toujours au pluriel.