koreedaKore-eda, Notre petite soeur, sélection officielle, en compétition

Elles sont trois, gainées d’austères robes noires, dressant leurs silhouettes racées comme des points de ponctuation funèbres dans une campagne japonaise filmée avec le lyrisme doux-amer du deuil. Celui, justement, que porte notre trio: ni pleureuses échevelées, ni Parques vénéneuses, mais des jeunes femmes – un inséparable club sororal -tout juste sorties du rituel des derniers adieux (les mots, les larmes, la gaucherie à la limite de la comédie des agrégations familials solennelles): leur père vient de partir en cendres, on a vu le fût cylindrique de la cheminée crématoire. Mais on se dit qu’en lieu et place de l’écrin sylvestre, on pourrait aussi bien trouver le strass et les reflets papillonnants des boutiques des grands magasins. Non que les soeurs se comportent en oiselles décervelées, ou que des gestes et des remarques de mauvais aloi déparent la solennité du lieu. Non, c’est simplement qu’avec leur attirail de sacs, leur aura de raffinement, ou leur vitalité contagieuse, on les imagine très bien dévalisant Prada ou Louboutin. Kore-eda est évidemment à des années lumières de Gossip Girl et autres Sex and the City, reste qu’il a su parfaitement capter, en l’épurant et en le dégraissant, pour le réduire à ses grandes lignes, l’entrelacs des motifs qui définissent le “film de filles”. Liaisons plus ou moins bien embringuées, crises de nerfs, bouffées de fou rire, épisodes éthyliques de grand déballage des quatre vérités, rabibochages: Notre petite soeur s’amuse avec brio à puiser dans cette constellation. Avec la version teenage: la soeur du titre, la quatrième larronne qui rejoint ses aˆinées après le décès paternel a encore les socquettes et l’uniforme de la collégienne – d’où des variations sur les schémas classiques de l’éclosion des premières amours, l’intégration au groupe, voire des incursions du cˆoté des féeries scintillantes à la Disney, lorsque la petite soeur, qui n’a rien d’une Cendrillon, est portraiturée en petite princesse, en petite héro¨ine. “On se croirait dans un téléfilm”, lance une des grandes au début. Et effectivement, tout ce matériau, c’est celui que brasse le tout venant d’une culture populaire, commerciale sans équivoque, étiquetée “féminine”. On peut tordre le nez, faire l’auteuriste effarouché; on peut sortir son Marx de poche et détramer point par point les images (forcément nocives, instrumentalisées par la domination masculine, voire secrètement dégradantes, bla, bla, bla); ou, comme Kore-eda, on peut tout simplement se demander s’il s’agit seulement de la lie cyniquement mercantile d’une entreprise d’exploitation des cartes bleues, des stéréotypes et du rose bonbon. Kore-eda suggère qu’il y a autre chose que la psyché féminine réduite à des baudruches approximatives, trop faciles à dégonfler. Et il le suggère en cinéaste: en jouant sur le montage des registres, sur les effets de contigu¨ité et d’emboˆitements. Car son film pratique l’hybridation, et des implants de mélo scandent sa chronique de la vie des quatre soeurs. Et pas n’importe quel mélo: le vrai, façon symphonie pathétique, celui qui n’hésite pas à aligner maladie au stade terminal, chaudron méphitique des histoires de famille, échos du dévissage économique actuel… Là encore, on imagine Kore-eda échafaudant son film avec la malice ravie du gamin devant une boˆite de Lego flambant neuve. Mais, surtout, la veine mélo, en se suturant et se superposant à la veine “film de filles” enrichit et densifie cette dernière – ou plutˆot, révèle peut-ˆetre ce qui en fait le fondement: angoisse, douleur, perte. Les séances de tchatche-confidences, la transmission des petit cérémoniaux (se passer du vernis sur les ongles de pieds) à la plus jeune, etc. : rien de frivole là-dedans, mais bien plutˆot conjuration exorcisme, thérapie – le revers de la médaille noire, larmoyante, suppliciante.