Je suis le peuple, Anna Roussillon, ACID
C’était l’ouverture de l’ACID, et ma foi une jolie façon de commencer en ruant un peu dans les brancards souvent rigides du docu politique, sans pour autant aller chercher une énième fois la caution qui commence à être un peu mitée du mot-valise « docufiction ». Anna Roussillon, filme les printemps arabes depuis le Caire, ou plus exactement depuis le poste de télé qui trône dans le salon d’un paysan égyption. Et elle enregistre, retrouvant la foi (puisqu’il sera question des Islamistes et d’Allah) dans les simples pouvoirs de captation et d’élucidation de la caméra, de cette machine dévoilante. Et contrairement à ce que le titre pouvait laisser craindre, il ne s’agit pas d’un éloge inconditionnel, énamouré du populo, qui serait bombardé au rang de mythe ou de totem. Anna Roussillon joue sur le temps, laisse s’installer contradictions, réticences et mauvaise foi, et n’hésite pas à laisser ses sujts s’enferrer dans des sophistiques de café du commerce. Mais si la balance ne penche pas du côté du panégyrique immodéré, elle ne bascule pas non plus de l’autre côté. C’est là d’ailleurs que le film, qui n’est pas exempt de défauts (on pourrait en particulier s’interroger sur la façon dont la réalistrice prend comme mètre-étalon de la démocratie les seuls héritiers des Lumières occidentales) est le plus passionnant Si les discours, et la conscience politique, sont souvent confus, en revanche la vie au quotidien et les attitudes plus ou moins spontanées (la colère, l’irrévérence, la fermentation dialectique des opinions opposées, le désir de liberté, le goût de commenter, de s’emporter, de trembler ou de se réjouir pour la chose politique, la capacité à renverser les rˆoles devant la réalisatrice et à l’interroger comme un sujet) attestent une vraie vitalité révolutionnaire. Le paysan égyptien est un homo politicus, et plus encore un homo revolutionarius. De quoi continuer à espérer.