utoyaDeux films au même moment reviennent sur les faits du 22 juillet 2011 sur l’île norvégienne d’Utoya où un tueur d’extrême droite, sous l’uniforme d’un policier, a semé la terreur parmi les cinq cents jeunes rassemblés pour l’université d’été de La ligue des jeunes travaillistes. Bilan : soixante-neuf morts. Le film de Paul Greengrass (Un 22 juillet) revient dans la première partie, caméra au poing, fidèle à l’esthétique de son réalisateur, sur le massacre d’Utoya, s’intéresse ensuite aux tergiversations des autorités et du Premier Ministre, puis enfin au procès et à la rencontre d’une victime traumatisée et du tireur. Le réalisateur de Vol 93 veut embraser la totalité de ce qui s’est passé : l’événement, les conséquences sur le plan de la justice, de la psychologie et de l’intime. D’où le sentiment d’un film très inégal, par son incapacité à choisir ce qu’il veut réellement traiter. Le Norvégien Erik Poppe adopte un dispositif beaucoup plus osé et radical. Ce cinéaste norvégien, spécialisé dans les films d’action historique, s’appuie sur le modèle des deux Elephant -celui d’Alan Clarke et celui de Gus Van Sant – et surtout sur Le Fils de Saul, de Laszlo Nemes, pour immerger le spectateur parmi les jeunes réunis sur l’île. On suit ainsi le calvaire d’une jeune femme qui, alors que le tueur toujours hors champ n’est perceptible que par les sons, recherche désespérément sa soeur comme Saul recherchait son fils. Poppe travaille donc cet événement comme un survival, lequel se révèle d’une puissance inédite : caméra embarquée, prises de vue au plus près des éléments dans des mouvements macroscopiques qu’on voit rarement. Sa force est son long plan séquence étiré sur la durée totale du film, réglé au cordeau avec ses mouvements de foule, sa scénographie au timing parfait qui alterne moments de pause et moments d’action. Car le film est rythmé par de longues accalmies qui permettent au cinéaste de s’approcher de son personnage, de suivre son cheminement, ses réactions instinctives. Poppe se révèle très fort dans sa direction d’acteurs et sa capacité à filmer la pulsion, les questionnements et la trouille. Il montre les rires succéder parfois aux moments de colère, les phases de découragement. On voit son héroïne chercher des appuis ou s’en passer, rester dans le groupe ou s’en isoler, ou encore sympathiser avec un garçon avec lequel elle voulait flirter, lequel avoue d’ailleurs qu’il s’est rendu dans le camp des travaillistes « pour draguer ». Cette gestion extraordinaire de la durée, outre qu’elle permet de ne pas réduire la figure principale à n’être qu’une cible sans affect, interroge (sans que Poppe ne donne de solution), la responsabilité, ou l’absence de responsabilité, des autorités qui ont tardé à intervenir. Ce qui fait de ce film bien autre chose qu’un survival : une oeuvre ouverte à des questionnements politiques.